Vanessa Vieites, doctorante en psychologie à l’université Rutgers
Le périmètre de liberté laissé aux enfants pour évoluer et jouer seuls autour de chez eux s’est nettement rétréci ces cinquante dernières années, en grande partie parce que leurs parents sont inquiets pour leur sécurité, notamment en ville. Récemment, la pandémie de Covid-19 a encore réduit leurs activités en autonomie. En tant que doctorante en psychologie, je me suis penchée sur les facteurs qui perturbent les capacités d’orientation des gens dans l’espace, c’est-à-dire la manière dont ils appréhendent leur situation et les caractéristiques de leur environnement. Je me suis également demandé si les expériences vécues dans l’enfance expliquaient les différences constatées dans la façon qu’ont les hommes et les femmes de se repérer ainsi que l’angoisse ressentie majoritairement par les femmes lorsqu’elles essaient de trouver leur chemin dans des endroits inconnus.
Les résultats de mes travaux laissent penser que les enfants qu’on autorise à se déplacer seuls plus loin de leur domicile sont susceptibles de devenir des adultes plus sûrs d’eux pour se repérer dans l’espace que les autres. Quand une personne visualise son quartier, prend un raccourci pour se rendre au travail ou découvre une ville inconnue, elle utilise la navigation spatiale, communément appelée sens de l’orientation. Ce sens de l’orientation est une composante essentielle de l’intelligence ainsi qu’un outil de survie pour tout individu ou animal ayant besoin de se déplacer pour trouver de la nourriture, un abri ou de la compagnie.
Mais la façon dont les gens se repèrent dans leur environnement varie d’un individu à l’autre. Certains vont ainsi prendre des points de repère routiers, comme les panneaux ou les bâtiments. D’autres s’orientent à l’aide de signaux naturels, les points cardinaux ou le soleil. La plupart combinent les deux. Toutefois, ceux qui s’en remettent essentiellement aux repères routiers pour se diriger sont plus lents et moins efficaces, peut-être parce que ces signaux sont moins fiables que les points cardinaux. Le panneau d’affichage qui indique la sortie à prendre sur l’autoroute peut ainsi avoir été déplacé alors que le nord reste le même, quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Ce n’est pas parce qu’une personne s’en tient à un itinéraire particulier qu’elle n’est pas capable de prendre un raccourci. Toutefois, ceux qui ont du mal à dévier de leur itinéraire habituel auront tendance à se sentir mal à l’aise ou stressés quand ils sont perdus.
« Les adultes qu’on a autorisés à déambuler seuls sur de longues distances lorsqu’ils étaient enfants ont moins besoin de points de repère pour s’orienter et sont moins inquiets d’avoir à le faire »
Dans une étude scientifique publiée en mars 2020, mon équipe de recherche a soumis à 159 étudiants de premier cycle dans une grande université publique de Miami une série de questionnaires sur leurs expériences d’orientation lorsqu’ils étaient enfants, leur façon de se repérer aujourd’hui, et les liens entre cette activité et leur anxiété. Les participants ont indiqué la fréquence à laquelle ils étaient autorisés à sortir seuls ou avec des amis quand ils avaient entre 6 et 15 ans, et sur quelle distance. Ils ont également été interrogés sur leurs stratégies actuelles pour s’orienter dans l’espace et sur l’angoisse qu’ils éprouvent face à un environnement nouveau.
Nous avons constaté que c’était davantage la distance qu’ils parcouraient sans surveillance plutôt que la fréquence à laquelle ils le faisaient qui déterminait leur mode d’orientation préféré, ainsi que leur niveau d’angoisse en tant qu’adulte obligé de se repérer seul. Les adultes qu’on a autorisés à déambuler seuls sur de longues distances lorsqu’ils étaient enfants ont moins besoin de points de repère pour s’orienter et sont moins inquiets d’avoir à le faire.
Quelles que soient les cultures, les garçons comptent davantage d’expériences d’orientation que les filles. Ils sont plus libres de s’éloigner de chez eux, que ce soit pour effectuer des corvées ou jouer avec des amis. De la même manière, dans notre enquête, les hommes ont déclaré avoir eu le droit de sortir plus souvent et plus loin dans leur enfance. En fait, cet écart dans la distance parcourue par les enfants se retrouve dans les deux différences majeures que nous avons constatées chez les adultes. Il explique au moins en partie la raison pour laquelle, dans le cadre de l’étude, les hommes ont moins recours aux repères routiers et sont plus détendus que les femmes lorsqu’ils doivent s’orienter.
Nous sommes entourés de repères qui s’avèrent bien utiles lorsque l’on doit identifier rapidement l’endroit où l’on se trouve, ou le chemin que l’on doit prendre. Mais laisser les enfants libres de se déplacer seuls – quand c’est sans danger – leur permettra de s’orienter plus facilement dans un milieu inconnu et leur donnera confiance en eux lorsqu’ils voyageront seuls.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original
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30 août 2021