Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la Société du Grand Paris à l’occasion du lancement de l’appel à candidatures « Illustrer le Grand Paris » pour la création de fresques pérennes sur les quais des gares du Grand Paris Express
Entre les transports publics et l’art, c’est un petit peu comme entre Elsa et Glenn Medeiros : « Un roman d’amitié qui s’élance comme un oiseau ». Une histoire qui commence en fanfare : le 12 janvier 1900, la Compagnie du chemin de fer métropolitain (CMP), ancêtre de la RATP, mandate l’architecte Hector Guimard pour dessiner 167 ouvrages, notamment les édicules, ces fameuses entrées de métro, incarnations flamboyantes de l’Art nouveau. « Guimard utilise un langage architectural futuriste pour l’époque, rappelle Yo Kaminagai, délégué à la conception au département Maîtrise d’ouvrage des projets de la RATP. En 1900, faire appel à Guimard, c’était comme si on appelait aujourd’hui l’architecte Frank Gehry. Cela signifiait afficher une modernité audacieuse, ce qu’était le Métropolitain dans la réalité ! ».
Et si après-guerre, la période est moins prolixe, le métro renoue avec l’art à partir des années 70, via entre autres la conception de stations culturelles et artistiques. A Louvre-Rivoli, dès 1968, le voyageur peut admirer des moulages de sculptures issues des collections du musée. A Arts et Métiers, le dessinateur François Schuiten et le scénariste Benoît Peeters livrent, en 1994, une station cuivrée, en écho au Nautilus du Capitaine Nemo. Ce dialogue entre art et transports publics n’est pas l’apanage de la capitale. Comme le rappelle Pierre-Emmanuel Becherand, responsable de l’unité architecture, culture, design et création de la Société du Grand Paris, chargée du projet de métro automatique autour de Paris, « il existe une tradition des commandes artistiques dans les transports. Si à Paris nous avons Guimard, on peut penser à Otto Wagner à Vienne. Le métro de Naples avec la stazione Toledo ou celui de Stockholm avec ses peintures sur ses parois rocheuses ont aussi intégré des œuvres pérennes ».
Mettre le beau à la portée de tous
Mais pourquoi introduire de l’art dans nos stations de métro ou de tramway ? Yo Kaminagai évoque la nécessité de « regagner des points » auprès des voyageurs : « le voyage dans les transports collectifs n’est pas toujours agréable, et régulièrement rude à vivre. Comment faire pour que l’outil de transport ne soit pas vécu que comme outil ?». Pour Michèle Ginoulhiac, agrégée d’arts plastiques et autrice d’une thèse intitulée « Muséalités de l’espace urbain : l’œuvre comme dispositif de médiation dans l’espace public au tournant du XXIe siècle », il faut remonter à une prise de conscience à la fin des années 60. En 1968, le sociologue Henri Lefebvre publie Le droit à la ville. Dans cet ouvrage, « il met en avant le fait que chacun doit avoir droit au beau, à l’oeuvre » explique Michèle Ginoulhiac. Et qu’on ne mette pas en avant l’idée selon laquelle les passants ne prendraient pas le temps de regarder les œuvres : « Vous savez quel est le temps de vision d’une œuvre au Louvre ?, sourit Michèle Ginoulhiac. Quelques minutes à peine. Cet argument ne me semble donc pas très légitime. »
Les concepteurs du futur Grand Paris Express croient dans des gares arty. « Nous souhaitons que le Grand Paris Express soit comme un grand musée contemporain qu’on parcourra de station en station », espère Pierre-Emmanuel Becherand. Les gares justement… Au nombre de 68, elles ont la particularité d’associer, dans leur conception des « tandems » associant un architecte et un artiste. A la gare de Bry-Villiers-Champigny (Val-de-Marne), l’architecte Thomas Richez œuvre avec l’artiste Ange Leccia qui a imaginé un immense écran vidéo sur lequel défileraient des levers de soleil. La gare Saint-Denis Pleyel (Seine-Saint-Denis) associe pour sa part l’architecte star Kengo Kuma, l’auteur-compositeur-interprète Stromae et le directeur artistique Luc Junior Tam (frère cadet de Stromae et qui travaille avec lui sur le label Mosaert). Les deux artistes ont imaginé l’implantation d’un arbre qui semble comme en lévitation dans le puits central de la gare (voir illustration ci-après). « Il existera une vraie complémentarité d’une gare à l’autre », promet Pierre-Emmanuel Becherand, qui insiste sur la variété des profils retenus, côté architectes comme côté artistes. Mais également sur la cohérence du projet : « Les œuvres ne seront pas des objets « tombés du ciel ». Il existera une co-conception entre l’univers de l’architecte et celui de l’artiste. Avec une prise en compte du contexte territorial et social. »
Imaginer des oeuvres saisissables par tous
Mais l’oeuvre installée dans une gare ou une station ne répond pas au même cahier des charges que celle exposée dans une galerie ou un musée. Pour Pierre-Emmanuel Becherand, le maître-mot est générosité. « Ce que produit l’artiste n’aura de valeur qu’au contact du voyageur. Il faut donc montrer de manière ostentatoire que ces œuvres sont faites pour les gens. Il ne s’agit pas d’une démarche autocentrée ou censée représenter un apport théorique à l’histoire de l’art ». Résumé autrement, cela donne : « L’oeuvre doit être saisie par tous et il n’y a pas besoin de lire un cartel pendant quinze minutes pour la comprendre ».
Michèle Ginouilhac observe que la présence d’oeuvres dans l’espace public crée du lien et des échanges entre les gens. « Quand j’emmène mes étudiants dans le métro, cela donne toujours lieu à des débats très intéressants », souligne-t-elle. Et les grands noms se bousculent pour marquer l’espace public de leur empreinte. L’art contemporain peinant à devenir populaire -mais, finalement, le veut-il ?- les artistes y voient une façon de toucher un public plus large. Sans compter la dimension « sécurisante » d’une commande publique. Avant le Grand Paris Express, Ange Leccia a ainsi oeuvré pour le tramway niçois. Tout comme le sculpteur Jean-Michel Othoniel qui a signé «Le kiosque des Noctambules » à la sortie du métro Palais-Royal à Paris. L’éclectique Daniel Buren a pour sa part officié pour le tramway de Tours.
Mécénat et échanges
Bien sûr, la présence de stations conçues avec des artistes ou l’implantation d’oeuvres d’art a un coût. Yo Kaminagai le reconnaît sans ambages : sans le cofinancement des Galeries Lafayette, les voûtes des lignes 7 et 9 à Chaussée d’Antin – La Fayette n’auraient pas leurs fresques signées du designer Hilton McConnico et du peintre Jean-Paul Chambas. Pour Arts et Métiers, le Musée des Arts et Métiers a participé au budget du décor imaginé par Schuiten et Peeters.
Des échanges sont également possibles. En contrepartie d’une bouche de métro Guimard donnée au métro de Montréal, « La Voix Lactée », œuvre signée de l’artiste québecoise Geneviève Cadieux, est offerte à la RATP qui l’expose à la station Saint-Lazare. Selon cette même logique d’échanges, la station Champs-Elysées – Clémenceau a reçu des azulejos lisboètes (carreaux de faïence) tandis que Chicago a fait don de « Night and Day » de Judy Ledgerwood – une œuvre constituée de panneaux de verres peints installée à Bir-Hakeim – et a pu en retour implanté un édicule Guimard à l’entrée de la station Van Buren Street (photo ci-après). L’idée de créer dès le départ des tandems architecte/artiste dans le cadre du Grand Paris Express permet de « réaliser des économies d’échelle, note Pierre-Emmanuel Becherand. Et plus l’artiste est intégré tôt dans le projet, plus l’univers des possibles lui reste largement ouvert ». Le voyage s’annonce prometteur…
Infos pratiques : Appel à candidatures « Illustrer le Grand Paris » pour la création de fresques pérennes sur les quais des gares du Grand Paris Express. Jusqu’au 15 septembre. Plus d’infos sur societedugrandparis.fr
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10 mai 2021