Avec ses 3,7 ha encerclés de barres d’immeubles, c’est la dernière terre maraîchère du 93. Cultivée depuis 1920, l’exploitation agricole de la famille Kersanté est le dernier bastion de la plaine des Vertus, qui fut pendant longtemps la plus vaste plaine légumière de France. Si une quarantaine de fermes tenaient encore debout en Seine-Saint-Denis dans les années 60, le béton a fini par couler sur les champs. Dernier des Mohicans, René Kersanté a toutefois décidé à 76 ans de ranger son tracteur et de passer la main. L’agriculteur produisait jusque-là un million de salades par an le long de l’avenue Stalingrad, à cheval entre Saint-Denis et Stains. Une activité plus guère rentable. Sa fille, elle-même maraîchère dans le 95, n’ayant pas souhaité reprendre l’exploitation familiale, la mairie de Saint-Denis a lancé un appel à candidatures en 2016 avec comme condition d’assurer une « production diversifiée respectueuse de l’environnement » et de permettre l’ouverture au public. “Cela s’inscrit dans la politique globale de la ville, qui fait de la sensibilisation au développement durable et à la bonne nutrition une de ses priorités, notamment auprès des scolaires”, explique Delphine Truchet, responsable du pôle Environnement à la mairie.
Lier culture et agriculture
Et c’est un tandem qui est sorti gagnant en 2017 composé des Fermes de Gally et du collectif d’artistes-apiculteurs du Parti poétique. Ensemble, ils ont fondé la Ferme urbaine de Saint-Denis. L’ambition est double et peut paraître antinomique puisqu’il s’agit à la fois de préserver une production agricole et de proposer une riche programmation culturelle. “Il n’y a pas d’acte plus politique que celui de manger. Il faut faire le lien entre ce que l’on met dans notre assiette et la société que l’on souhaite. Aujourd’hui on externalise notre alimentation, on mange ce que l’industrie nous donne. On devient gros, moche et en plus ça nous coûte cher !”, tonne Olivier Darné, co-fondateur du Parti poétique et qui produit avec ses camarades le Miel Béton, fabriqué en Seine-Saint-Denis et multi-médaillé pour sa pureté.
Pour ces penseurs de la ville, la ferme de Saint-Denis est d’abord un lieu à destination des locaux. “A Saint-Denis, les habitants ne se posent pas la question du bio, inaccessible pour leur porte-monnaie. Manger sain devrait être un droit fondamental du XXIème siècle, c’est une véritable injustice sociale ! ”, martèle Olivier Darné. C’est pourquoi les Fermes de Gally proposeront régulièrement des ateliers du goût à destination des enfants pour fabriquer du pain ou du jus pomme, comme c’est déjà le cas dans ses autres succursales des Yvelines. Possédant les trois-quarts du terrain de cette nouvelle ferme urbaine, les équipe de Gally ont déjà lancé une production de maïs et de courges. “Il faut recréer un réseau d’exploitations agricoles aux portes de Paris, retrouver une logique de commerce de proximité pour faire barrage à l’écrasant business de l’agro-alimentaire”, plaide Xavier Laureau, co-gérant des Fermes de Gally qui regroupe 300 salariés.
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« Prouver que le concept fonctionne et qu’il est reproductible »
Le défi est maintenant de trouver un modèle agricole et économique viable pour que ce type de lieux se développent. Comment en effet concurrencer le bio des supermarchés qui vient de l’autre bout de l’Europe ? « Nous devons nous inscrire dans la durée afin de prouver que le concept fonctionne et qu’il est reproductible ailleurs en Île-de-France », indique Xavier Laureau. De son côté, le Parti poétique, avec l’aide d’un jardinier professionnel et d’étudiants en horticulture du lycée Suger de Saint-Denis, a déjà planté une centaine de variétés de plantes aromatiques et de légumes sur sa parcelle. L’objectif, constituer une vitrine de l’agriculture biologique comprenant un pôle de médiation. “Je veux dédramatiser l’épluchage d’une carotte auprès des enfants et sensibiliser les adultes au fait qu’une herbe dont ils ne connaissent pas le nom n’est pas pour autant mauvaise”, confie Olivier Darné.
Résidences de chefs étoilés dans des containers aménagés, parcours olfactif avec la parfumerie Cartier (etc.), le Parti poétique entend s’appuyer sur l’agriculture pour faire de la pédagogie en matière d’écologie. Une filière de recherche mêlant art et science, pilotée par l’association COAL et le CNRS, a même été créée et vise à approfondir le concept des « récits-recettes ». Dans un premier temps, cela consiste à collecter des recettes auprès des habitants de Saint-Denis, où vivent 135 nationalités, pour ensuite mettre en culture les ingrédients nécessaires à leur réalisation. “On veut que nos plantations aient du sens. Cultiver des pommes de terre pour faire un atelier frites maison avec les enfants alors qu’on est juste à côté d’un McDonald’s, c’est le pied !”, s’amuse Jean-Philip, membre du Parti poétique. Pour l’association, la ferme est la première étape d’un projet plus global conçu avec le restaurateur Alain Ducasse et qui prévoit d’installer une académie de cuisine à destination des familles dionysiennes. ”Pour certains, la diversité culturelle du 93 est un problème, pour moi c’est une richesse”, conclue Olivier Darné.
Infos pratiques : La Ferme urbaine de Saint-Denis, 114 avenue de Stalingrad, Saint-Denis (93). Plus d’infos sur Facebook
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31 octobre 2017 - Saint-Denis