Olivier Razemon est journaliste et écrivain. Cette chronique est tirée de son blog L’interconnexion n’est plus assurée sur lemonde.fr
2020, année zéro. Publié en décembre 2021, le bilan des déplacements de la ville de Paris en 2020 offre un premier regard documenté sur la mobilité en cette année exceptionnelle, faite de confinements, couvre-feux, restrictions de circulation, sans oublier la queue de comète des grèves à la RATP et à la SNCF, qui privèrent les Franciliens de transports publics pendant un mois et demi.
Ce bilan, provisoire, se limite certes à la capitale, ses 2 millions d’habitants et ses 4 à 5 millions d’usagers quotidiens. Il ne porte en outre que sur la mobilité individuelle et, contrairement aux autres années, ne traite pas les transports publics. Le bilan parisien présente toutefois des enseignements qui peuvent être transposés, toutes choses égales par ailleurs, dans les structures urbaines denses, grandes villes ou proche banlieue parisienne. En ce mois de janvier 2022, avec un peu de recul, peut-on considérer que cette fameuse année 2020 était le début d’une nouvelle ère ? Voici dix chiffres qui montrent comment la ville change.
1. 13,4 km/h
C’est la vitesse moyenne de la circulation automobile entre 7 h et 21 h. Vous trouvez que ce n’est pas beaucoup ? Ce chiffre a pourtant augmenté de plus d’un point entre 2019 et 2020, retrouvant son niveau de 2018. Deux explications : les grèves dans les transports, fin 2019, avaient ralenti le trafic. À l’inverse, lors des confinements, les automobilistes, moins nombreux, roulaient plus vite, comme le confirment les chiffres pour avril, mai, novembre et décembre 2020. La vitesse sur le boulevard périphérique a bondi de 34,4 km/h à 40,5 km/h de 2019 à 2020.
2. 460 000
C’est le nombre de voitures immatriculées à Paris en état de circuler. Elles ne roulent pas toutes tous les jours, loin de là. Leur nombre diminue régulièrement, mais il s’en immatricule chaque année tout de même une bonne centaine de milliers, dont plus de la moitié sont d’occasion. Une voiture – plus d’une tonne de métaux et de plastiques – est un objet dont les consommateurs aiment changer. Presque un objet jetable.
3. 0,97
Soit le niveau de l’indice d’évolution annuel du nombre de deux-roues motorisés, dont la valeur de référence est fixée en 1997. En clair, on compte aujourd’hui moins de motos et scooters dans Paris qu’il y a 25 ans. On peut tout de même observer que ces engins sont plus puissants et plus volumineux que ceux de la fin du siècle dernier. Les plus fortes diminutions sont constatées dans les secteurs désormais réservés aux riverains, comme la rue de Rivoli ou les rives du canal Saint-Martin. Par ailleurs, le nombre de places dévolues aux deux-roues motorisés a presque doublé depuis 2011. Ces emplacements, qui devaient initialement devenir payants en janvier 2022, le seront finalement en septembre, a promis la ville.
4. 52 km
C’est la longueur des pistes cyclables provisoires (aussi appelées « coronapistes ») créées au printemps 2020. Beaucoup, pas beaucoup ? Pas tant que ça. La ville a matérialisé, toujours en 2020, 56 kilomètres d’axes cyclables définitifs, en majorité des double-sens cyclables. Au total, les aménagements destinés au vélo atteignaient 1 093 kilomètres fin 2020, contre 742 en 2015 et 293 en 2004. Sur ces itinéraires, plus de 60 000 infractions pour stationnement illégal ou circulation motorisée ont été relevées.
5. + 60 %
C’est la progression du nombre de trajets à vélo, d’après les compteurs disposés dans la ville. Un chiffre à rapprocher de la hausse de 30 % de l’usage du vélo pour toute la France relevée par l’association d’élus Vélo et territoires. Paris double ainsi la progression par rapport au reste du pays, et la pratique du vélo y a été multipliée par 5,44 depuis 1997. Le bilan s’attarde peu sur la marche, mais il apparaît que celle-ci a été bien plus pratiquée en 2020, hors confinements, que les années précédentes.
6. 26 %
Soit la proportion des Vélib’ dans le trafic cyclable. Malgré une hausse de 54 % des locations en 2020, le vélo en libre-service ne représente plus qu’un gros quart des bicyclettes en circulation. Cette proportion était de 40 % à l’époque du « Vélib’ 1 » administré par l’opérateur JCDecaux. Les difficultés de son successeur Smovengo expliquent cette proportion, mais pas seulement. Les usagers se sont rendu compte que, lorsqu’on pédale régulièrement, le plus pratique est de disposer d’un vélo personnel.
7. 5 350
C’est le nombre de victimes d’accidents de la route. Le chiffre diminue presque continûment depuis 2007. En revanche, la baisse a été moins nette à Paris (- 16 %) que dans le reste de la France (- 20 %).
8. 39,6 %
C’est la proportion des usagers de deux-roues motorisés (scooters et motos) dans les victimes d’accidents de la route, soit 2 118 personnes sur 5 350. Pourtant, « ils ne représentent que 17 % du trafic », observe la Ville de Paris. En ville, il s’agit, de loin, du mode de déplacement le plus dangereux. Selon le bilan des déplacements, il n’y a eu aucun décès à trottinette à Paris en 2020.
9. 8
Soit le nombre de personnes tuées dans un accident de la route alors qu’elles circulaient à vélo. C’est le double de 2019. Si l’on tient compte des 42 blessés graves, le nombre des tués et accidentés gravement à vélo progresse de 37 % par rapport à 2019. C’est beaucoup, même si, dans le même temps, l’usage du vélo a davantage progressé. Les cyclistes sont-ils casse-cou ? Certains d’entre eux, assurément. Mais, la plupart du temps, le danger vient d’ailleurs. Beaucoup d’aménagements sont mal conçus, comme le remarque Stein van Oosteren dans la vidéo ci-dessous, réalisée place d’Alésia (14e).
Impressionnant : la moitié des vélos n’utilisent pas la piste cyclable bidirectionnelle atour de la #PlacedAlesia : pas intuitif, pas homogène, trop de rebords, pas assez reconnaissable pour les automobilistes. pic.twitter.com/3HWFN05IbT
— Stein van Oosteren (@LCyclable) January 15, 2022
10. 14
C’est le nombre de jours où la pollution a dépassé le pic d’alerte. Ce chiffre est relativement stable depuis 2014. Plus généralement, la concentration en particules fines a tendance à baisser depuis une quinzaine d’années, résultat des politiques visant à limiter l’usage de la voiture, mais surtout du remplacement régulier des véhicules anciens. La Ville de Paris remarque toutefois que les seuils de pollution aux particules fines sont encore largement dépassés à proximité des axes routiers.
Le bilan des déplacements à Paris révèle que 2020 a connu à la fois un choc majeur et une remarquable continuité. Le choc majeur résulte de l’énorme progression des modes de déplacement « actifs » (ceux qui mobilisent le corps) : vélo et marche. Les usagers ont, littéralement, voté avec leurs pieds. Mais 2020 montre aussi une remarquable continuité : selon les indicateurs disponibles, la transformation de la ville se poursuit au même rythme que les années précédentes. L’usage de la voiture, les accidents, la pollution, baissent progressivement, sans à-coup. Et les aménagements destinés aux cyclistes et aux piétons progressent également, sans à-coup non plus. La ville change, lentement, mais sûrement.
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19 janvier 2022 - Paris