Avouons-le : la dernière édition du Colors Festival en avril nous avait un peu laissés sur notre faim. Aussi allait-on découvrir « Roadmap », leur dernier projet, avec une pointe de circonspection. Le concept – des artistes de street art réunis dans des lieux insolites de la capitale – commençait-il à s’essouffler ? Au vu de ce nouvel opus, il semblerait que non. Nous voici donc rue de Buci, dans le très chic 6e arrondissement. Dans cet immeuble, au XIXe siècle, Joseph Forest monta sa maison d’édition de plans, mappemondes et cartes murales, devenant en 1889 le fournisseur officiel des écoles de France en la matière. C’est ce fil rouge géographique que Roadmap déroule au gré de six appartements répartis sur de nombreux étages (avec 236 marches à grimper, vous aurez de quoi zapper votre séance de squats de la semaine !). En s’inspirant de différentes régions de France, 25 artistes ont offert à ces logements une vraie cure de jouvence du sol au plafond, cuisines comprises.
Première étape en Auvergne-Rhône-Alpes. Les choses commencent dans la cour de l’immeuble où Graffmatt a représenté sa cousine Angélique devant les Alpes. À l’étage, Agrume, originaire de Montélimar, propose une variation sur les « concerts d’oiseaux », ce genre pictural en vogue au XVIIe siècle. Sur les murs de la pièce, 70 espèces de volatiles – cigognes, hirondelles, étourneaux… – semblent prêts à s’élancer vers la fenêtre. On passe un long moment dans la chambre réinventée par Petite Poissone. Artiste grenobloise, la jeune femme conspue le « pourisme » de masse qui touche sa région et, au gré de phrases sur les murs, vilipende les amours foireuses comme les visiteurs plus adeptes de selfies que de la rencontre avec les autres.
Accepter de se laisser happer
C’est d’ailleurs le petit bémol de cette exposition, lié non pas à l’événement en lui-même mais plutôt à notre nouvelle façon d’aborder les œuvres d’art dans un monde saturé par les réseaux sociaux. Dans le petit groupe de treize personnes qui suit la visite, tout le monde a dégainé son téléphone. Il s’agit de ruser pour ne pas s’incruster dans le champ de la photo du voisin qui se retrouvera inexorablement sur Instagram, attendre son tour pour choisir l’angle le plus flatteur. Bilan : chacun semble visionner l’expo par le prisme de son écran de portable. Carrément dommage…
D’autant que les œuvres valent mieux qu’un post Insta : elles méritent plutôt une immersion sensorielle totale dans ce qu’elles proposent. Dans la partie du bâtiment dévolue à la Nouvelle-Aquitaine, Selor nous plonge dans une forêt mystérieuse que les incendies malmènent. Charles Foussard compose une étonnante fresque composée d’étranges baudruches qui font osciller le visiteur entre attendrissement et malaise. Quant à Delphine Delas, elle repeint une salle de bain de bleu Klein pour en faire une sorte de royaume subaquatique, entre toilettes et ballon d’eau chaude. Côté Pays de la Loire, Steeven Salvat rend hommage à Anne de Bretagne via une représentation du reliquaire contenant son cœur accompagné d’hermines, symboles de la royauté. Avec une technique inspirée du pointillisme, la nantaise LadyBug réalise des portraits vivifiants : parmi ceux-ci, une femme dont la force évidente contraste avec la fragilité de la bulle de chewing-gum qu’elle a à la bouche. Ça tombe bien : on sort justement de l’expo tout regonflé…
Infos pratiques : exposition « Roadmaps », 17, rue de Buci, Paris (6e). Jusqu’au 23 décembre. Visites du lundi au vendredi de 11 h à 18 h, les samedis et dimanches de 10 h à 18 h. Tarif : 20 €. Accès : métro Odéon (lignes 4 et 10) ou Mabillon (ligne 10). Infos et réservation obligatoire sur colors festival.paris
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17 novembre 2022 - Paris