Culture
|

Théodore Rousseau, le peintre porte-voix des arbres de Fontainebleau

C'est la plus grande forêt d'Île-de-France, avec une surface équivalente à 2,5 fois Paris. Ce n'est pas tout. La forêt de Fontainebleau est aussi un lieu qui inspire les artistes. L'un d'eux, Théodore Rousseau, qui disait même entendre les « voix des arbres », fait l'objet jusqu'au 7 juillet d'une rétrospective au Petit Palais à Paris.

Les gorges d'Apremont en forêt de Fontainebleau par Théodore Rousseau / © Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague
Les gorges d’Apremont, forêt de Fontainebleau par Théodore Rousseau / © Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague

Ce n’est pas un très grand tableau, il mesure environ 40 centimètres de large sur 50 de haut, mais le sujet qu’il représente en impose : un grand chêne occupe tout l’espace de son feuillage splendide, parsemé de quelques touffes rousses annonciatrices de l’automne. Puissant et paisible à la fois, il semble dérouler ses branches noueuses devant nos yeux. Cette peinture intitulée Un arbre dans la forêt de Fontainebleau fait partie de la centaine d’œuvres de Théodore Rousseau (1812-1867) exposées actuellement au Petit Palais à Paris (7e). L’artiste, à la fois réaliste et romantique, a révolutionné la peinture de paysage au milieu du XIXe siècle et a été un précurseur de l’impressionnisme. Lui qui a fédéré un groupe de peintres, une colonie d’artistes appelée « École de Barbizon », n’avait plus bénéficié de rétrospective depuis celles organisées au musée du Louvre en 1967 pour le centenaire de sa mort et en 2013 au musée d’Art et d’Histoire de Meudon (Hauts-de-Seine).

On commence la visite avec les toiles de jeunesse, celles du refus de Rousseau. Élève dans l’atelier d’un peintre néoclassique, il décide de ne pas partir en Italie, alors que c’est pourtant le voyage obligé pour tout artiste – le Grand Tour. Mais Rousseau se rebelle ; il ne veut pas peindre une nature idéalisée, recomposée en atelier, qui servirait de cadre harmonieux à des scènes antiques ou de simple décor à une activité humaine. C’est la forêt réelle qui l’intéresse. Ce Parisien pur jus, fils d’un couple de tailleurs, a découvert la campagne à 12 ans lors d’un séjour à Besançon qui l’a marqué pour la vie.

La rencontre avec Fontainebleau

Après avoir crapahuté (et peint) en Auvergne, en Normandie, dans le Jura, en Vendée, dans les Landes, les Pyrénées, le Berry (chez l’écrivaine George Sand), Théodore Rousseau se met à fréquenter le massif de Fontainebleau (Seine-et-Marne) à partir de la fin des années 1830. La forêt avec ses chênes centenaires, ses bosquets de hêtres et ses chaos rocheux romantiques à souhait est à 60 kilomètres seulement de Paris. Rousseau comme d’autres artistes se loge d’abord à l’auberge Ganne, bon marché et accueillante pour les artistes fauchés. Elle est située dans le petit village de Barbizon (Seine-et-Marne), en lisière de la forêt, qui ne compte alors qu’une seule rue. Aujourd’hui, le bâtiment accueille le musée départemental des Peintres de Barbizon.

À partir de 1847, Théodore Rousseau partage son année entre Barbizon aux beaux jours où il loue une petite chaumière et Paris l’hiver où il garde un atelier dans lequel il travaille sur ses peintures esquissées en plein air.

Rousseau est venu dans ce petit village pour soigner une peine de cœur et s’éloigner d’un milieu artistique officiel qui le rejette depuis des années (la reconnaissance viendra en 1848). La forêt devient son refuge ; il s’aventure dans les bosquets profonds et y fait de longues courses à pied en solitaire par tous les temps ! Son grand ami, le peintre Jean-François Millet (1814-1875), ultracélèbre aujourd’hui pour son tableau Des Glaneuses reproduit et pastiché sur des boîtes de gâteaux comme sur des mèmes, s’est lui-aussi installé à Barbizon. Dans une lettre datant de 1851, il parle de la façon dont Rousseau se comporte lors de ses randonnées en forêt : « Il y est comme le marin sur la mer. Au plateau de Bellecroix, pendant des heures, immobile sur un rocher comme un capitaine sur sa dunette, il a l’air de faire son quart. Il ne peint pas, il contemple, il laisse ses chers arbres lui entrer lentement et profondément dans l’âme. »

Clairière dans la haute futaie de la forêt de Fontainebleau par Théodore Rousseau / Clairière dans la Haute Futaie, forêt de Fontainebleau
Clairière dans la haute futaie, forêt de Fontainebleau par Théodore Rousseau

Les voix des arbres

Ce sentiment d’immersion dans la nature se retrouve dans ses toiles à la matière parfois rugueuse, où la forêt apparaît dense, masquant l’horizon, où les arbres semblent surgir de façon organique et dessiner une masse indisciplinée, même si le peintre a savamment orchestré ce « Kunstchaos », ou chaos artistique cher aux romantiques allemands. Le Chêne de roche (1860) est par exemple représenté dans un morceau de forêt sombre et touffu comme un condensé du massif de Fontainebleau. Plongé dans la nature, les sens exaltés, Rousseau dit même entendre les « voix des arbres ». « Les surprises de leurs mouvements, leurs variétés de formes et jusqu’à leur singularité d’attraction vers la lumière m’avaient tout d’un coup révélé le langage des forêts », aurait-il expliqué, selon son ami et biographe le critique d’art Alfred Sensier.

Le peintre dresse de véritables portraits des chênes et des hêtres, qu’il individualise. Il nomme aussi précisément l’endroit où il les a « rencontrés » comme Groupe de chênes, Apremont, forêt de Fontainebleau, (1850-1852), Le Vieux Dormoir du Bas-Bréau (1836-1837) ou le très doux La Mare au chêne, (1860-1865), qui retranscrit un sentiment de sérénité projeté sur la nature, alors que le soir se couche et que l’artiste est dans sa maturité.

Fontainebleau, première réserve artistique au monde

Le peintre qui écoute les arbres se fait aussi leur porte-voix ! La forêt de Fontainebleau dans les années 1840-1850 est de plus en plus exploitée. Les chênes sont abattus et vendus, des pins à la pousse plus rapide sont replantés. Rousseau, proto-écologiste ou écolo avant la lettre, a l’impression qu’on abat un monument vivant, un musée naturel. Il peint une toile au titre explicite : Le Massacre des innocents en 1847. Avec son ami le critique d’art Alfred Sensier, il écrit en 1852 une lettre-pétition au ministre de l’Intérieur de l’époque, le duc de Morny, au nom de « tous les artistes qui peignent la forêt ». Ils demandent que « les lieux soient mis hors d’atteinte de l’administration forestière qui les gère mal, et de l’homme absurde qui les exploite ».

La forêt, un monument naturel à ses yeux, est une référence pour « les artistes qui étudient la nature [comme en témoignent] les modèles qui nous ont été laissés par Michel Ange, Raphaël, Corrège, Rembrandt et tous les grands maîtres des temps passés ». Rousseau obtient gain de cause : en 1853, une « réserve artistique », la première réserve naturelle au monde avec 624 hectares de forêt protégés, est créée à l’intention des artistes et des promeneurs. Elle sera étendue à mille hectares en 1861. Un siècle et demi plus tard, la forêt de Fontainebleau frappe désormais à la porte du patrimoine mondial de l’Unesco.

Infos pratiques : exposition « Théodore Rousseau, la Voix de la forêt » au Petit Palais, avenue Winston Churchill, Paris (8e). Ouvert jusqu’au 7 juillet du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, avec nocturnes jusqu’à 20 h le vendredi et le samedi. Tarif : 12 € (plein tarif), 10 € (tarif réduit), gratuit pour les moins de 18 ans. Accès : métro Champs-Élysées–Clemenceau (lignes 1 et 13). Plus d’infos sur petitpalais.paris.fr

Clairière près du village de Pierrefonds dans la forêt de Compiègne dans l'Oise / © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK
Clairière près du village de Pierrefonds, forêt de Compiègne (Oise) par Théodore Rousseau / © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK

Lire aussi : La forêt de Fontainebleau hors des sentiers battus

Lire aussi : Comment j’ai appris l’escalade de bloc dans son berceau de la forêt de Fontainebleau

Lire aussi : Cinq musées du Grand Paris où vous ne ferez pas la queue

Lire aussi : Une expo Land Art dans le labyrinthe végétal des Murs à Pêches à Montreuil