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La disparition d’Éric Hazan, promeneur amoureux de Paris

La rue du Chevalier de la Barre sur la butte Montmartre où fut fusillé le communard Eugène Varlin le 28 mai 1871, dernier jour de l'insurrection / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris
La rue du Chevalier de la Barre sur la butte Montmartre où fut fusillé le communard Eugène Varlin le 28 mai 1871, dernier jour de l’insurrection / © Vianney Delourme pour Enlarge your Paris

Médecin, éditeur et figure engagée, Éric Hazan est décédé le 6 juin dernier à l'âge de 87 ans. Promeneur-écrivain amoureux de la capitale, il est l'auteur entre autres d’ « Une traversée de Paris ». Éditeur indépendant à la tête de la librairie Le Genre urbain dans le 20e, Xavier Capodano nous en parle.

Chirurgien cardiaque, éditeur, écrivain et bien sûr promeneur amoureux de Paris… Comment peut-on présenter Éric Hazan ?

Xavier Capodano : Naïvement je dirais qu’il a les quatre casquettes au regard de son personnage public. J’ai eu la chance de le côtoyer puisque, en tant que Bellevillois (mon domicile, le siège des éditions La Fabrique et l’adresse du Genre urbain), je ne connais que l’homme du livre. Je sais qu’il a dirigé, avant de la vendre à Hachette, la maison fondée par son père, les éditions Hazan. Puis il en fut quasiment en même temps l’écrivain et l’éditeur. C’est surtout cette partie pour ma part qui est importante. Donc je dirais écrivain et éditeur. Éric Hazan est avant tout connu pour ses livres de promenades érudites à travers la géographique et l’histoire, notamment sociale, de Paris.

Comment Éric Hazan s’est-il inscrit dans l’ancienne tradition du flâneur parisien, et comment l’a-t-il renouvelée ?

Cela va bien au-delà de ça. C’est même l’extraordinaire qualité de ces livres et en particulier L’Invention de Paris qui est une œuvre à tiroirs où l’on retrouve la balade, l’histoire, la littérature et la peinture, avec surtout un vrai propos politique et philosophique sur ce qu’est un habitant de cette ville. Le sous-titre « Il n’y a pas de pas perdu » est une métaphore magnifique sur ce que la ville apporte à l’individu et ce que l’individu lui renvoie.

L’œuvre d’Éric Hazan comme promeneur-écrivain est aussi assez politique, en lien avec l’ère de la métropolisation et de la financiarisation de l’immobilier

Une ville sans habitant n’a aucun sens, d’où sa passion pour Balzac qui décrit Paris presque uniquement avec ces habitants. J’avais lu à l’époque une chronique sur L’Invention de Paris. Le critique y écrivait que ce livre était un cri du peuple ; qu’au-delà de la balade érudite c’était avant tout un livre politique dans le sens où, pour Hazan, c’est le politique qui doit être l’essence de la ville. Au regard de ce que nous vivons depuis quelques années, particulièrement à Paris, où des pans entiers de l’organisation urbaine sont « lâchés » aux opérateurs privés, où la création de richesse est basée sur la financiarisation avec son carburant qu’est la rente foncière, ce livre devrait nous servir de « piqûre de rappel » pour raviver des rapports de force qui font aussi l’âme de cette ville.

Comment son engagement à l’extrême-gauche teinte-t-il sa vision de Paris ?

Je serais prudent sur le terme « extrême gauche ». Effectivement Hazan est un homme engagé, qui n’arrive pas à admettre qu’une ville comme Paris ne soit plus accessible (et depuis longtemps) aux gens les plus modestes quelles que soient leurs origines. Comment lui donner tort ? Pour répondre à votre question, je dirais qu’il a une vision de Paris. Cette vision procède avant tout d’une grande érudition et d’un amour profond de cette ville. Son engagement n’est qu’une brique à ce Lego complexe et riche qu’il partage dans ses livres.

Au gré de ses livres, y a-t-il une évolution dans le regard qu’il porte sur la capitale ?

Évidemment oui, c’est un homme de son temps. Dans son dernier livre, Le Tumulte de Paris, il nous raconte avec un talent immense l’existant de cette ville. Il voit bien, par exemple, que le livre et surtout la librairie ont quitté l’épicentre du Quartier latin et sont venus s’installer dans l’Est parisien et ça l’enchante. Pour résumer les choses, la combinaison de ses connaissances et de l’incroyable curiosité qu’il a encore et toujours sur la ville de Paris fait qu’il réussit le tour de force de nous montrer un Paris « immuable » mais aussi un Paris en perpétuelle évolution. Et, même quand cette ville prend des directions qui ne lui convient pas, il arrive quasiment toujours à y trouver quelque chose.

Un regret quand même : la banlieue n’est pas très présente dans ses livres. Pourquoi ?

Bien qu’il ait quand même un peu écrit et édité sur la banlieue, sa passion c’est Paris. Et comme il le dit souvent, avec d’autres : « Paris c’est sans fin », et malheureusement, c’est vrai !

Y a-t-il des héritiers d’Éric Hazan dans cette façon d’arpenter et de raconter la ville ? Peut-on par exemple imaginer Jean Rolin en cousin et Aurélien Bellanger en petit-fils ?

Aurélien Bellanger, sûrement pas ! Pour moi en tout cas, même si ses livres sont intéressants. Jean Rollin, pourquoi pas ? J’avoue que je coince sur votre question. S’il est évident qu’Éric Hazan a vraiment « mis sa patte » sur la façon de nous faire voyager dans la ville, j’ai du mal à identifier d’autres auteurs contemporains qui seraient de ce calibre.

Alors, en laissant tomber cette idée de filiation, qui pour vous écrit le mieux sur Paris aujourd’hui ?

Votre question appelle à hiérarchiser entre les disciplines mais aussi à regarder sous quels angles on parle de la ville Paris, ce qui est impossible. On peut même faire l’hypothèse que l’on peut trouver de très belles pages dans un guide touristique. Cela étant dit, je vais me mouiller et ne vous en citer qu’un seul : Michaël Darin (peut-être le meilleur connaisseur de l’histoire urbaine et architecturale de Paris), professeur d’histoire de l’architecture et de la ville. Je pense à son ouvrage La Comédie urbaine, voir la ville autrement chez Infolio. Malheureusement ce livre est indisponible, je pense qu’il est épuisé. Il faut le trouver d’occasion. Voilà un ouvrage qui nous raconte de façon passionnante l’histoire urbaine et architecturale de Paris du XVIIIe au XXe siècle. Un livre dans lequel il nous propose, et ce n’est pas la moindre des choses, de voir et d’apprécier la ville autrement afin de mieux s’en emparer. Il met l’accent sur cette bizarrerie collective qu’est une ville où chaque acteur, du concepteur au simple citadin, a non seulement sa place, mais surtout participe à sa transformation. De la même façon que le sous-titre du livre d’Éric Hazan L’Invention de Paris est : « Il n’y a pas de pas perdus », on peut se risquer à ajouter à La Comédie urbaine de Michaël Darin : « Il n’y a pas de flâneries perdues ». Il a une capacité incroyable à nous faire regarder la ville sous des angles insoupçonnés. On peut toujours le lire et apprécier ce que je vous dis à travers ces trois livres qui sont encore disponibles chez Parigramme : Ces rues qui racontent Paris, Paris la forme d’une ville et Patchworks parisiens.

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