Comment est née l’idée d’un spectacle mêlant vidéo et danse hip-hop ?
Mourad Merzouki : J’ai toujours aimé mélanger le hip hop avec d’autres formes artistiques : j’aime le fait qu’il bouscule le spectateur, qu’il l’emmène dans des espaces inconnus. Pixel est dans cet état d’esprit. Il y a un an et demi, le festival des arts numériques de Bron (RVBn) m’a contacté pour imaginer un spectacle mêlant danse et art numérique. J’ai découvert le travail de Claire Bardainne et Adrien Mondot, qui conçoivent la vidéo comme un outil de décoration et de scénographie du plateau : ils m’ont proposé trois ou quatre saynètes issues de leurs précédents spectacles. J’ai fait ma cuisine avec, en imaginant la place du corps et de la danse dans cet espace, en essayant de trouver un dialogue entre leur univers et le mien.
Comment ont-ils reçu votre travail ?
Ils ont été déstabilisés à plusieurs reprises ! D’abord parce qu’ils travaillent beaucoup en noir et blanc, sur fond noir : moi je voulais quelque chose de plus chaleureux, on a donc travaillé la lumière et la scénographie en ce sens. Par ailleurs chez moi tout est écrit, minuté à la seconde près, alors qu’eux préfèrent l’improvisation. Il a donc fallu s’adapter. Mais au final, c’est enrichissant : le spectateur se demande qui manipule qui : si c’est la vidéo qui fait bouger les corps ou l’inverse.
Caler ainsi les projections vidéo avec les mouvements des danseurs doit constituer un travail de titan…
Oui, c’est un projet très ambitieux, qui a nécessité quatre mois et demi de travail. Ce sont de nombreuses répétitions, qui mobilisent beaucoup de monde : des danseurs bien sûr, mais pas que ! J’ai proposé à trois artistes de cirque de se joindre à nous. Je viens de ce milieu, et je voulais des agrès, quelque chose qui corresponde aux mouvements rapides des projections vidéo qui traversent le plateau. Je pensais qu’un artiste sur roller pouvait parfois être plus juste dans le mouvement qu’un danseur, par exemple. C’est aussi un spectacle qui a nécessité un énorme travail de scénographie et de création musicale. C’est Armand Amard, un grand compositeur, qui a travaillé la musique trois semaines avant la première : un boulot de dingue, et une belle rencontre ! Pour moi, la musique a une place importante : elle porte la poésie du spectacle, et doit créer un décalage. Le hip hop ne se résume pas qu’à de la musique rythmée, la proposition musicale doit faire vivre le spectacle et permettre au spectateur de voyager.
C’est lui qui vous a proposé des séquences musicales ?
Là encore, c’est un travail d’échange. Je lui ai fait écouter des morceaux issus d’univers qui me parlent, en lui donnant des indications sur le rythme, la mélodie. Parfois, il a suivi exactement ce que je voulais et à d’autres moments, il a pris le contrepied de ce que j’attendais : c’est l’intérêt du dialogue, qui permet d’être au plus juste sur chaque scène.
Quel a été l’accueil du public lors des premières représentations ?
On est très content de l’accueil du public car c’était un pari : il pouvait être déstabilisé par ces projections vidéo en 3D. En fait les gens sont surtout agréablement surpris : cette dimension numérique ne se résume pas à un tourbillon d’effets visuels, à un gadget. Cela reste avant tout de la danse.
Le mouvement hip-hop s’installe ?
On est loin des démonstrations purement physiques d’il y a 30 ans. Le hip-hop n’est plus une culture éphémère, ou juste une culture de quartier. Ma nomination au Centre chorégraphique national (CCN) de Créteil est un marqueur fort : c’est la reconnaissance de cette danse. Je ne peux qu’en être ravi, personnellement et pour le hip-hop en général. C’est un cap de franchi, mais il faut continuer, car cela reste une danse fragile. Beaucoup d’artistes ont encore du mal à être accompagnés, à trouver des espaces pour s’exprimer. La danse est le parent pauvre de la culture, il faut se battre au quotidien pour la défendre. C’est le rôle du CCN. Il a entre autres permis de monter un spectacle comme celui-là en mobilisant une équipe aussi importante.
Il y a aussi une mission d’animation du territoire…
Oui bien sûr. On imagine des rencontres, des projets avec les habitants, tout un tas d’actions pour intéresser le plus nombre au hip hop : portes ouvertes, ateliers, masterclass, ou encore le festival Kalypso créé il y a deux ans, qui permet à des jeunes et à des familles de découvrir des spectacles dans toute l’Île-de-France. Quand on a répété Pixel, nous avons accueilli des groupes pendant les répétitions, pour assister à une petite heure de répétition, puis assister à un échange avec les artistes. Ça déclenche le désir de suivre le projet, de voir le spectacle. Il y a aussi un suivi sur la durée. Un groupe de jeunes travaille avec une danseuse de l’équipe sur l’un de nos spectacles : ils utilisent la musique ou un accessoire du spectacle, ils dansent sur un extrait et se produisent ensuite devant du public. Le fait que la base soit un spectacle présenté par ailleurs par des pros, des pros qu’ils ont rencontrés, permet de faire vire le spectacle à leur échelle. Ils ne sont pas juste dans de la consommation. Ils sont acteurs autant que spectateurs.
6 novembre 2015 - Suresnes