Qu’appelle-t-on : communication non violente ?
Valérie Zoydo : La communication non violente a été théorisée par le psychologue américain Marshall Rosenberg dans son livre Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs). Elle sert à régler les conflits en développant l’écoute, le non-jugement et la conscience de soi. L’une des clés est d’identifier quels sont ses besoins car, plus on est conscient de ses sentiments et ses besoins, plus on gagne en autonomie. Un besoin non identifié crée un manque. C’est valable dans tous les aspects de notre vie, notamment lorsque l’on est en couple. Les relations amoureuses sont souvent dysfonctionnelles car on attend de l’autre qu’il nous rende heureux. Or c’est lui donner trop de pouvoir. Thomas d’Ansembourg, psychothérapeute qui enseigne la communication non violente, raconte cette anecdote : un jour, alors qu’il s’apprête à entamer une conversation téléphonique, il demande à son interlocutrice s’il ne la dérange pas et s’entend répondre : « Tu n’as pas le pouvoir de me déranger. » Ne donnons pas aux autres le pouvoir de nous déranger, pas plus que le pouvoir de nous rendre heureux ou malheureux. Devenons responsable de notre propre confort et de notre propre bonheur. La communication non violente est une forme de discipline qui vise à éviter de blâmer l’autre pour nos propres souffrances, ce qui permet justement d’éviter que la violence s’installe. L’idée est de cultiver son autonomie et sa souveraineté pour de meilleures relations avec les autres. On parle de responsabilité de soi, qui passe par le fait de ne pas se masquer et de dire « je » : « je ressens ça, je suis en colère… »
À quel moment avez-vous commencé à vous intéresser à la communication non violente ?
En tant que femme engagée en faveur de l’écologie, j’étais beaucoup dans le « y a qu’à, faut qu’on ». Je cherchais à convaincre l’autre. Or cette énergie qui consiste à convaincre l’autre constitue déjà un bras de fer. C’est tout le problème du discours militant. C’est violent de dire à quelqu’un qu’il doit changer. On coupe l’autre de sa liberté et de son libre arbitre. La communication non violente consiste à respecter l’autre dans son autonomie et revient à faire le deuil de le changer. Dès lors, je me suis dit que ma façon d’agir était d’abord d’agir sur moi, sur mes propres conflits intérieurs, avant de résoudre mes conflits avec l’extérieur. Pour dénouer les conflits, il faut reconnaître quels sont les besoins qui sont en jeu, sachant que les besoins ont plus besoin d’être reconnus que satisfaits. Parce que je me connais, je sais ce qui fait ma puissance et cela me fait sortir des relations de pouvoir. Le pouvoir repose sur la domination tandis que la puissance est un élan, une énergie vitale.
Thomas d’Ansembourg a une belle image : il compare les émotions à l’agitation à la surface de l’eau et la paix intérieure aux profondeurs de l’océan. Les relations pacifiées que l’on noue avec les autres découle-t-elle de sa paix intérieure ?
C’est la base. Ne pas blâmer l’autre pour ses propres malheurs, prendre la responsabilité de ses conflits intérieurs. En communication non violente, on travaille à partir de la girafe et du chacal. Marshall Rosenberg a choisi ces deux animaux comme le symbole de nos voix intérieures. Contrairement à la girafe, le chacal n’est pas capable de prendre de la hauteur. Par conséquent, sa vision de la vie est très étriquée et conditionnée par la peur. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas l’écouter, même s’il incarne le rabat-joie et qu’il passe son temps à se mettre des barrières. Il faut comprendre pourquoi le chacal a peur. Il y a deux élans qui cohabitent en nous : le désir de liberté et le désir de sécurité. On passe notre temps à osciller entre les deux. On veut pouvoir avoir la liberté de créer, d’aimer, de voyager, de changer de vie. Mais en même temps, il y a le « oui mais » qui va nous en empêcher. Le chacal, parfois, nous protège. L’objectif est de faire cohabiter toutes les parts de soi sans laisser le chacal dominer. Il suffit de voir le temps qu’on passe à se juger ! Si l’on est capable d’un dialogue apaisé avec soi-même, alors on est capable d’avoir ce même dialogue avec les autres.
D’avoir de l’empathie…
Oui. À ne pas confondre toutefois avec la compassion qui consiste à se mettre à la place de l’autre dans une logique de sauveur. La compassion, c’est « souffrir avec ». L’empathie, c’est être à l’écoute de l’autre. L’empathie, c’est comprendre ce que ressent l’autre. Accueillir l’autre tel qu’il est. Apprendre à l’écouter et, lorsqu’on écoute, ne pas vouloir être le héros de la conversation. Comme lorsqu’on donne l’impression d’écouter quelqu’un et qu’on le coupe en lui disant : « Je te comprends, j’ai vécu exactement la même chose que toi, pour m’en sortir j’ai fait ça… ». L’autre était là pour me demander de l’aide et tout à coup c’est moi qui deviens le héros de la conversation, tout en lui donnant l’illusion que je l’écoute et que je l’aide. Le meilleur que l’on puisse tirer de la communication non violente, c’est une présence sincère.
Pourquoi monter une pièce de théâtre sur la communication non violente ?
Pour le moment est une troupe qui s’est rencontrée dans le cadre de stages de formation à la communication non violente. Nous souhaitions, par le spectacle vivant, faire connaître une autre façon d’être au monde, en s’inspirant du théâtre forum. Il s’agit d’une technique théâtrale qui vient du Brésil et qui a pour but de résoudre les situations de conflits de rue en les interprétant et en les résolvant avec l’intervention du public. Dans notre pièce, on raconte l’éventail des émotions qui nous traversent : la colère, la joie, la tristesse, la peur… On s’inscrit dans une forme de pédagogie qui sort du « il faut que ».
Ce qui aurait toute sa place à l’école…
Nous avons déjà joué dans des écoles. On voit en tout cas que les gens viennent voir le spectacle en famille. Il a été écrit pour toucher tous les âges. Il y a une heure de spectacle et à la fin on convie une personnalité pour parler citoyenneté et rebondir sur la pièce afin d’ouvrir des perspectives. Nous sommes convaincus que c’est à travers la connaissance de soi que l’on crée une meilleure citoyenneté.
Que serait d’ailleurs une campagne des législatives sur le mode de la communication non violente ?
En politique, on est dans l’anti-communication non violente. On essaie avant tout de convaincre l’autre. Aujourd’hui, la politique, c’est l’anti-écoute. Une campagne réussie, selon les critères de la communication non violente, serait de ne plus avoir à créer de la division pour se faire élire. Sortir de la culture du débat pour aller vers la culture du dialogue. S’affranchir de la logique du sauveur qui nous fait voter pour un homme ou une femme providentielle. Les gens ont le pouvoir qu’on veut bien leur donner. Que ce soit en couple ou dans notre vie de citoyen, être autonome et heureux consiste à cesser de donner à l’autre le pouvoir de nous rendre heureux ou malheureux, le pouvoir de nous sauver. Une société plus apaisée, c’est une société de citoyens plus responsables et autonomes, une société de citoyens qui deviennent auteurs de leur vie. Tout attendre de l’extérieur, et notamment des politiques, c’est ne pas être dans sa propre puissance. Même s’il faut bien admettre que les politiques sont des boucs émissaires idéaux. Tout est leur faute tout le temps, quoi qu’ils fassent.
La communication non violente est un projet politique en soi…
Cultiver la communication non violente, c’est cultiver une manière apaisée d’être au monde. Thomas d’Ansembourg parle d’intériorité citoyenne et affirme que la connaissance de soi est un enjeu de santé publique. Mais il n’y a pas que la communication non violente pour accéder à la connaissance de soi, pour passer du pouvoir à la puissance. Ce n’est pas un outil magique ni un dogme. Il peut même être dangereux s’il est utilisé pour manipuler. Il y a l’outil et il y a ce que l’on en fait dans le réel. Il faut accepter que l’on ne soit pas parfait car c’est notre condition d’être humain. Et puis, viser l’autonomie, ce n’est pas viser l’autosuffisance. Être autonome, c’est savoir demander. L’attachement fait partie de la vie. Nous sommes les mammifères les moins finis à notre naissance. On a besoin d’être protégés. S’ajoute à cela la part de mystère en nous que l’on ne percera jamais. Il serait davantage souhaitable d’être dans l’acceptation de ce que l’on ne maîtrise pas. Ce qui apporte la paix, c’est de sortir du contrôle et de lâcher prise.
Infos pratiques : Personne m’écoute au théâtre Lepic, 1, avenue Junot, Paris (18e). Avec Camille Bardery, Gaëlle Grognet, Severine Pelleray, Tim Pouzet et Valérie Zoydo. Mise en scène Charlotte Dupuydenus. Prochaines représentations lundi 9 mai à 21 h et dimanche 26 juin à 21 h. Tarifs : 26 € (plein tarif), 12 € (moins de 26 ans). Accès : métro Lamarck-Caulaincourt (ligne 12). Infos et réservations sur theatrelepic.com
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5 mai 2022 - Paris