
Depuis 2016, l'artiste catalane Laia Abri retrace l'histoire de la misogynie à travers ses expositions dont la dernière, « On Mass Hysteria », à voir au BAL à Paris, s'intéresse aux phénomènes d'hystérie collective documentés depuis des siècles.
Puisqu’on ne les entend pas, ce sont leurs corps qui exprimeront la rage et la révolte des femmes. Ainsi pourrait-on résumer la façon dont l’artiste catalane Laia Abril ausculte ces phénomènes d’hystérie collective documentés depuis des siècles, d’où ce « On Mass Hysteria » qui donne son titre à l’exposition présentée au BAL à Paris (18e). Mais on n’a encore rien dit si on ne précise pas que cette proposition artistique constitue le troisième volet d’une histoire de la misogynie proposée par l’artiste, qui intervient après un premier volet, « On Abortion » (2016), et un deuxième, « On Rape » (2020). Car c’est bien là tout l’enjeu : avec « On Mass Hysteria », Laia Abril donne à voir la façon dont la société enferme les femmes dans des espaces contraints – couvent, pensionnat, usine – et comment elles résistent à cette oppression.
Nous voilà donc au centre d’une grande salle. Sur les murs sont exposés des dossiers documentant ces épisodes d’hystéries collectives. Miaulements dans un couvent français au Moyen Âge, pleurs et courses effrénées d’écolières en Afrique du Sud… Coupures de presse et/ou articles scientifiques sont mis à disposition du public et documentent ces phénomènes spectaculaires. Petit bémol : la plupart sont en anglais, ce qui en limite nécessairement l’accès aux anglophones. Via des installations, Laia Abril se penche plus précisément sur trois cas distincts : une épidémie de paralysie des jambes dans un pensionnat mexicain en 2007, une épidémie d’évanouissements dans une usine de confection au Cambodge entre 2012 et 2022 et une épidémie de tics dans un lycée de l’État de New York en 2012. Le témoignage des femmes croise à chaque fois celui des instances auxquelles elles sont confrontées : religieuses du pensionnat, dirigeants de l’usine, parents ou enseignants du lycée… Évidemment, d’un côté de la barrière ou de l’autre, la version des récits n’est pas la même. La surdité de l’autorité, qu’elle soit religieuse, parentale ou patronale, est même assez édifiante.
Des corps-manifestes
Ayant travaillé avec des anthropologues, des sociologues et des psychiatres pour saisir la genèse de ces phénomènes, Laia Abril montre combien ces manifestations corporelles constituent un moyen de révolte. Faut-il s’étonner, par exemple, de cette paralysie des jambes dans le pensionnat quand on entend l’une des élèves expliquer que l’un des moyens de punition consistait à faire, en courant, des tours de stade jusqu’à l’épuisement ? Quant aux ouvrières des usines cambodgiennes, ne revivraient-elles pas, via leurs évanouissements, des scènes de massacre perpétrés par les Khmers Rouges, à l’époque de la dictature, comme un traumatisme transgénérationnel trop longtemps passé sous silence et dont on ne parvient pas à se défaire ? Le rapprochement est d’autant plus troublant quand on sait que certaines de ces usines de confection ont été bâties à l’endroit même de charniers.
Le constat pourrait être amer si Laia Abril ne proposait pas, avec l’ultime salle de l’exposition, une ouverture optimiste. Par un montage vidéo, elle montre des archives de femmes à travers le monde, du Mexique à la Pologne, de l’Inde au Brésil, luttant pour le droit à l’avortement, contre les féminicides. Autant de corps-manifestes puisqu’en train de manifester, mus eux aussi par la colère. Mais chez qui cette colère provoque l’action et non plus la tétanie.
Infos pratiques : exposition « On Mass Hysteria, une histoire de la misogynie » au BAL, 6, impasse de la Défense, Paris (18e). Jusqu’au 18 mai. Ouvert le mercredi de midi à 20 h, du jeudi au dimanche de midi à 19 h. Tarif : 8 € (plein tarif), 6 € (tarif réduit). Accès : métro Place de Clichy (lignes 2 et 13). Plus d’infos sur le-bal.fr
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18 février 2025 - Paris