Culture
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À la veille de l’ouverture du Mia Mao, plus grand club électro du Grand Paris, où en est la Nuit parisienne ?

Le 17 janvier ouvrira le Mia Mao dans une ancienne halle industrielle de 3 000 m2 à la Villette à Paris avec aux platines le légendaire Laurent Garnier. Pour l'occasion, Enlarge your Paris s'est entretenu avec Myrtille Picaud, chargée de recherche au CNRS et autrice de « Mettre la ville en musique (Paris-Berlin) ».

Le Kilomètre 25 sous le périph au niveau de la Porte de la Villette / © KM25
Le Kilomètre 25 sous le périph au niveau de la porte de la Villette / © KM25
 

En 2009, la pétition « Paris, quand la nuit meurt en silence » avait recueilli 12 000 signatures. Elle alertait sur les difficultés des discothèques, clubs et bars musicaux parisiens confrontés à des loyers élevés et à une réglementation appliquée de façon trop tatillonne selon les instigateurs de ce texte, des professionnels de la musique. Ce texte a-t-il changé quelque chose ?

Myrtille Picaud : Oui, cette pétition a eu un impact assez fort. À la suite de ce mouvement, la mairie de Paris a formalisé une politique de la Nuit qui auparavant était davantage gérée d’un point de vue sécuritaire ou répressif par des acteurs comme la Préfecture de police. Ce secteur a été considéré comme un domaine culturel pouvant attirer des touristes et avoir un poids économique. Après les états généraux de la Nuit en 2010, un Conseil de la Nuit a par exemple été créé en 2014.

Est-ce la seule évolution majeure depuis ce mouvement il y a quinze ans ?

Non. Dans le même temps, de façon schématique, on a observé un passage du monde des discothèques à celui des clubs promouvant la musique électronique. Certains d’entre eux ont mis en avant leur action culturelle, notamment en communiquant sur les noms des DJ invités. Le collectif La Concrete, qui a animé des soirées au port de la Rapée (12e) de 2011 à 2019, en est un bon exemple. Il a innové doublement, en proposant une programmation plus pointue et en décrochant la première licence d’ouverture 24 h sur 24 à Paris, ce qui existait déjà depuis longtemps à Berlin par exemple.

La géographie des lieux nocturnes a-t-elle aussi changé ?

Encore aujourd’hui, on a toujours la même géographie des sorties nocturnes parisiennes avec, à l’ouest et au centre, de grands clubs, certains au public varié et d’autres plus sélectifs, et au nord-est des lieux en général plus petits. Toutefois, depuis une petite dizaine d’années, on a vu apparaître de nouveaux lieux installés dans des friches comme la Station – Gare des mines porte d’Aubervilliers (18e). Il y a aussi davantage de circulations entre le centre et les communes proches de Paris, notamment dans l’ancienne « ceinture rouge », comme au 6b à Saint-Denis ou au Chinois à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le dézonage du passe Navigo en 2015 a sans doute joué un rôle, de même que le fait que des Parisiens s’installent en proche banlieue en raison de la cherté de l’immobilier intra-muros.

Que peut apporter le tout nouveau dispositif « Club Culture – lieu d’expression artistique et de fête » qui, selon le ministère de la Culture, « vise à reconnaître et encourager l’engagement pour la création artistique d’établissements dont la programmation est principalement axée autour d’une offre de musiques actuelles créative et nouvelle destinée à faire danser le public » ?

Que l’on reconnaisse aujourd’hui, en 2025, que les clubs sont des lieux de culture, ce n’est pas très novateur. Pour avoir droit à ce label « Club Culture », il faudra de plus monter un dossier, y passer du temps, y consacrer des moyens. Seules les structures relativement pérennes pourront se le permettre et cela renforcera l’absence de reconnaissance pour les petits lieux. Pourtant, c’est souvent dans ces lieux que se développent des innovations musicales. Dans d’autres lieux vus comme plus commerciaux, on trouve parfois des publics socialement plus divers, qui contribuent à la démocratisation de la musique. Et ceux qui décrocheront le label, qu’obtiendront-ils ? Le droit de le mettre sur leur site et sur leur porte, mais aucune subvention. C’est une forme de hiérarchisation artistique entre les clubs effectuée par le politique, mais sans même les moyens derrière !

Le 17 janvier, le Mia Mao, un club de 3 000 m2 pouvant accueillir jusqu’à 2 300 personnes et géré par l’équipe du Glazart va ouvrir dans une ancienne halle désaffectée à la Villette. En quoi se rapproche-t-on des clubs berlinois comme le Berghain ?

Le public qui viendra écouter les sets et danser n’aura pas le droit de prendre des photos. Des stickers seront mis sur les objectifs des téléphones (cette interdiction s’inspire des boîtes berlinoises comme le Berghain, Ndlr). Si on est pris en train de prendre des photos au Berghain, on est expulsé. C’est une mesure qui permet à chacun de faire ce qu’il veut sans avoir à craindre de se retrouver sur les réseaux sociaux. Le Mia Mao souhaite s’inscrire dans les pas des grands clubs internationaux. Après, pour remplir cette typologie de salle, la programmation n’est pas forcément la plus innovante. Il faut voir si ce genre de lieu répond aux transformations des modes de sortie qui s’orientent de plus en plus vers des formats éphémères, avec l’idée de sortir de l’ordinaire pour retrouver l’esprit de la fête.

Infos pratiques : Mettre la ville en musique (Paris-Berlin) de Myrtille Picaud. Éd. Presses universitaires de Vincennes. 304 pages. 21 €. Disponible sur puv-editions.fr