Les randonnées des Passagers de la Ligne 16 en octobre sont maintenant complètes. Vous pouvez vous abonner à la page Facebook d’Enlarge your Paris pour connaître les prochaines balades. Les fêtes de chantier du Grand Paris Express dans le 93 se déroulent chaque week-end jusqu’au 21 octobre.
Comme la maison de Leandro Erlich, je fonds au soleil sur le parvis de la Gare du Nord (10e) qui, malgré les efforts consentis sur cet espace public, peine à se départir des stigmates de la très grande pauvreté et de la réputation “no go zone” dont souffre le quartier. J’y passe d’habitude avec Vianney, mon camarade de marche, pour sauter dans l’un des trains en direction de Saint-Denis. Nous voici cette fois devant la gare, au point de départ du troisième épisode de nos aventures sur les traces de la Ligne 16 du Grand Paris Express. Nous allons rejoindre la Plaine Saint-Denis du côté du Stade de France et de l’Académie Fratellini avec la tour Pleyel comme point de chute, en traversant Paris par La Chapelle. Cette nouvelle marche est une façon inédite d’observer de quelle manière les transports ont fait et défait le territoire, du Moyen Âge jusqu’à nos jours.
Nous tombons d’ailleurs aussitôt sur l’emprise ferroviaire de la gare de l’Est qui court comme un jeu de veines d’acier rouillées à travers la ville. J’ai l’impression de surplomber le lit d’un fleuve asséché depuis les rives d’un canyon de béton. Sublimé par de grands ponts à dos rond d’inspiration Eiffel, le décor nous plonge dans le Paris de l’ère industrielle. Vianney insiste pour que je ne foire pas les photos car, me dit-il, « c’est l’un des beaux moments de la balade ». Une petite pièce de street art, pin-up en papier collé exécutée à la façon d’un Jef Aérosol, s’expose entourée d’une nuée de vieux timbres postes à l’effigie de Marianne. L’écrasante présence des voies de chemin de fer va nous accompagner encore pendant un bon moment, sans toutefois donner l’impression d’entraver la douce évolution du quartier.
Avec son côté néo-bobo, l’esplanade Nathalie Sarraute (18e), inaugurée en 2013 le long de la Halle Pajol, abrite un certain nombre de lieux marqués du sceau du cool parmi lesquels figure le Draft Ateliers qui fut quasiment le premier makerspace à tenter le pari du “faire” et du collaboratif. On peut facilement venir prototyper ses projets, travailler sur des machines numériques, parler design et se former. À l’entrée de la rue Riquet (18e), dont le bel horizon à 360 se dégage en direction du Centquatre et du 19e, un grand portail avec une reproduction du quartier réalisée à la ligne claire garde solidement l’accès du Shakirail, un petit espace d’art installé dans un ancien vestiaire de la SNCF.
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Little Jaffna
Le quartier de La Chapelle (18e) s’ouvre sous un jour et avec un visage que je ne lui soupçonnais pas vraiment. Nous voilà dans « Little Jaffna », le quartier hindou de Paris, avec son temple consacré à Ganesh. La rue fourmille de petites boutiques aux représentations traditionnelles, de cantines et de salons de coiffure aux couleurs éclatantes de vie. Autre surprise inattendue, le marché de la Chapelle dont les origines remontent au Moyen Âge. Il se déploie aujourd’hui sous la forme d’une petite halle coquette, inscrite aux monuments historiques depuis 1982. Au fur et à mesure de notre traversée, je vois Vianney changer de siècle. C’est l’avantage de vivre la ville en réalité augmentée : elle vibre dans plusieurs dimensions et à travers les époques alors que, du point de vue photographique, je ne la remarque finalement que pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle fut.
J’apprends que nous sommes sur la route des Montjoies qui mène à Saint-Denis, route ancienne qu’un tractopelle s’applique pourtant à défoncer sans le moindre sentiment. Là, dans un recoin discret, sur une place animée, une petite église abrite la grande Histoire. Jeanne d’Arc la fréquenta et c’est ici que le premier Montjoie fut érigé au passage de la sépulture de Saint-Louis, en direction de Saint-Denis. Ce sont en tout sept Montjoies et douze calvaires qui ponctuent ce chemin que nous suivons à travers le dédale de la circulation moderne. Car la ville a repris ses droits depuis fort longtemps, en écrasant cet héritage dans sa transformation permanente.
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Réflexion sur le street art
La Chapelle s’éloigne et c’est le début du quartier Rosa Parks (18e et 19e), aux abords du boulevard Macdonald, qui s’ouvre sous nos pas. Zone instable, défigurée par les terrains vagues, les immeubles hauts, les palissades et les grafs, elle se réinvente un destin flambant neuf au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans son cœur. C’est ici que la SNCF a créé l’Aérosol, sorte de temple du street art officiel. Dans cet ancien hangar, sur quelques milliers de mètres carrés cernés par les food trucks, se concentrent les plus belles signatures du moment. En ce jour, le lieu a été privatisé par l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft pour une journée de chill parmi les fresques. Nous passons à travers les mailles du filet de la guest list et nous voici immergés parmi les grandes peintures murales dont certaines attendent déjà d’être effacées pour laisser leur bout de mur à un nouvel artiste qui lui-même sera vite remplacé par un autre.
Il y a quelque chose de triste au final dans cette histoire de galerie lifestyle à ciel ouvert. Le sort actuel du street art n’est pas celui auquel on aurait pu penser, 45 ans après la naissance du mouvement dans les rues de New York. Alors qu’au début des années 90, la SNCF et la RATP luttaient contre les graffeurs sauvages qui bombaient les wagons, aujourd’hui se sont ces mêmes artistes qui sont mis à l’honneur dans une tour d’ivoire à l’esthétique protopunk berlinoise. Le street art est partout mais son message n’existe désormais nulle part. J’observe la tribu des nerds d’Ubisoft avec ses clones barbus à casquettes et t-shirts déambuler mollement dans les allées avec un burger froid dans les mains et je me dis qu’on a loupé quelque chose dans cette histoire de l’art et de la rue.
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Le dernier calvaire de la route des Montjoies
À quelques centaines de mètres à peine, presque camouflé par une petite haie d’honneur feuillue, le tout dernier calvaire de la route des Montjoie à tenir encore debout fait œuvre de piété avec résignation. Des traces récentes de cierges fondus indiquent des visites régulières d’anonymes venus déposer leurs dernières prières aux pieds d’un Christ drapé dans le silence. Nous arrivons bientôt aux frontières de Paris, marquées par la coupure brutale du périphérique. De l’autre côté de la rive de béton il y a la porte d’Aubervilliers (19e) dont la Station Gare des Mines est devenue le cerbère, un ange gardien jouisseur et tapageur qui fait bouger les lignes en proposant une culture à l’esprit punk aux accents underground particulièrement prisée par la jeunesse parisienne qui préfère faire la fête en banlieue plutôt que de galérer dans les nuits de Paris devenue muette et sourde. C’est bien ici, à l’entrée d’Aubervilliers qu’on réinvente la nuit fauve et son adrénaline.
Encore quelques pas et nous voici en 1874, quand la Société Anonyme des Entrepôts et Magasins Généraux d’Aubervilliers et Saint-Denis créé, sur le modèle des des entrepôts-docks britanniques, un immense site dédié au stockage. Les Magasins Généraux sont comme une ville dans la ville, avec leur architecture typique inspirée du modèle des halles. Des clones de Jean-Luc Delarue surgissent de l’un des nombreux et immenses studios de tournages et de télévision présents sur le site. Toujours dans sa zone d’influence, le quartier Rosa Parks offre un spectacle contrasté, entre les constructions qui fleurissent à l’envi et les populations les plus démunies qui investissent ouvertement les trottoirs pour des barbecues sauvages ou des réparations automobiles illicites à ciel ouvert.
Les chantiers sont partout, ils crient la fierté de ce nouveau faubourg en train de surgir de terre au milieu de nulle part. Non loin de là, les cathédrales de la SNCF tiennent toujours debout mais leur accès est définitivement condamné. Il y a peu de chance pour que ces bâtiments, bombardés en 1944, soient un jour réhabilités sous forme de friche ou d’espace de convivialité. Trop de danger, trop de pollution, trop cher à réformer. En attendant, nous prenons plaisir à admirer leur ligne, jusqu’à l’arrivée à La Plaine Saint-Denis avec ses hôtels borgnes et ses immeubles post apocalyptiques que l’on croirait sortis d’un cauchemar d’Enki Bilal. Le terminus de la balade approche. Le grand chapiteau de l’Académie Fratellini signé Patrick Bouchain dort d’une belle torpeur à cette heure de la journée alors qu’à l’horizon, du haut de ses 143 mètres la tour Pleyel trône sur la Seine-Saint-Denis, dans une froide majesté visible à plus de trois kilomètres à la ronde.
1er volet : Le long du canal Saint-Denis, de La Villette à la Cité des 4000
2e volet : Sur la route de Flandre, du Bourget à La Villette
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17 octobre 2018