9h pétantes. Je rejoins Nathalie et Roger à leur atelier en plein coeur de Clichy (Hauts-de-Seine). Le couple m’accueille avec un grand sourire malgré un imprévu de dernière minute : “Le parking où l’on gare notre camion a fermé hier soir. Heureusement on a pu le laisser chez des amis mais à long terme on ne sait pas comment on va faire”, m’explique Nathalie. S’ils revendiquent l’itinérance comme un atout, le stationnement en ville est une angoisse quotidienne pour les foodtruckers, qui récoltent même des PV le temps de charger leur camion.
Tout en rangeant minutieusement ses cheesecakes et cookies maison, et alors que Roger recompte ses poissons, Nathalie m’explique la genèse de leur projet. “Nous étions ensemble au collège Balzac à Paris (17e) et en 2011 on s’est retrouvés via Facebook. Roger vivait alors à Cape Cod aux Etats-Unis. On s’est parlés pendant des semaines puis lorsqu’il m’a dit être nostalgique du foie gras j’ai sauté dans un avion pour lui en apporter. Je suis restée quelques mois puis je l’ai ramené en France”. Trop âgés pour retrouver un emploi intéressant dans leurs branches respectives, l’informatique pour Roger et la communication pour Nathalie, ils songent rapidement à combiner leurs talents culinaires et leur amour du poisson pour lancer leur propre business.
De la téléréalité à la réalité
C’est grâce à une amie qui les inscrit à l’émission de téléréalité “Mon food truck à la clef” sur France 2 qu’ils recueillent les encouragements du jury, malgré leur défaite, et se décident à sauter le pas. Six mois plus tard, en septembre 2015, ils font leur premier service au Street Food International Festival Porte de Versailles (15e) et sont couronnés truck d’argent. “A part quelques amis aussi fous que nous, tout le monde nous décourageait. J’étais déçu du scepticisme et de la lourde législation française en comparaison à entrepreneuriat à l’américaine. Après c’est sûr qu’il y a un énorme turn over de food trucks tant l’activité est difficilement rentable”, raconte Roger en me montrant le beau gravlax maison de son saumon. Et en effet l’entreprise est lourde puisqu’il leur aura fallu deux ans et demi pour s’assurer un seul salaire.
Le chargement du camion est un véritable jeu de Tetris. A 10h nous slalomons entre les voitures en direction de La Défense, où Cape Cod a rapidement fidélisé sa clientèle. L’arrivée sous la pluie est un peu maussade, ce n’est pas bon pour le commerce. “Nous sommes évidemment très dépendants de la météo. En moyenne ici on sert une centaine de personnes le midi, ça vaut le coup ! Et La Défense nous prend un pourcentage raisonnable sur les ventes ”, confie Nathalie.
« Le McEnroe des fourneaux »
A midi pile le soleil finit par percer et une queue se forme devant le camion. J’enfile tablier et gants et j’assiste Nathalie dans la mise en place des barquettes généreuses où viennent se ranger salade composée, frites ainsi qu’une part de focaccia tout juste sortie du four. J’observe la cuisson complexe du poisson, doré sur la plancha à l’huile de pépin de raisin, réputée moins grasse et odorante que le tournesol. Roger est en sueur au-dessus des fourneaux et rouspète dans sa barbe lorsque les commandes se chevauchent, ce qui lui vaut d’être surnommé “le McEnroe des fourneaux” par ses amis. Chaque geste est millimétré et je m’efforce de respecter l’espace qui m’est attribué pour ne pas gêner la chorégraphie du couple dans l’étroit habitacle.
A ma grande surprise c’est la formule maxi à 19€ qui se vend le plus. Pour les portefeuilles du coin, un bon food truck peut remplacer un resto. La chaleur humaine et la rapidité du service jouent certainement pour beaucoup. “Notre matière première est chère, d’où le fait que le fish’n’chips de cabillaud, notre premier prix, est déjà à 11€. Nous rêvons de servir des lobster rolls (sandwichs de homard) mais contrairement aux Etats-Unis c’est un produit bien trop cher en France”, m’explique Nathalie. 14h30, nous posons enfin les tabliers et je me fais servir une énorme barquette rassemblant tous les produits du jour. Rien à redire, c’est de la street food de luxe, et pour un bon rapport qualité/prix. Mention spéciale pour le tataki de thon aux graines de sésame et la sauce maison soja-gingembre-citronnelle.
Au final, nous avons servi 80 personnes, un petit service d’après le duo de choc, et pourtant je suis sur les rotules. J’imagine mal comment ils peuvent enchaîner parfois midi et soir. C’est l’heure du grand nettoyage du camion puis retour au bercail où il faut faire la plonge, toutes les préparations du lendemain et remplir les stocks chez Metro. Deux heures de service, c’est entre six et huit heures de boulot confirment mes hôtes. C’est sûr, je ne regarderai plus les foodtrucks de la même façon.
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20 septembre 2018 - Clichy