Interview par Hugo du Plessix & Fiona Forte de Noise La Ville
Vous pouvez-nous raconter votre petite histoire ?
Notre histoire, c’est d’abord trois associés : François, Catherine et moi. On s’est rencontré en 2009 à l’ouverture de la saison de la Turquie en France durant laquelle on avait installé un café turc éphémère au coeur du jardin des Tuileries. François et Catherine sont architectes et ils avaient déjà travaillé pour le Louvre, notamment sur la Salle des Bronzes. L’événement s’est bien passé, on a eu 30 000 spectateurs.
C’est à partir de cet événement que vous avez commencé à travailler ensemble ?
François et Catherine étaient architectes de la carrière de Normandou. Ils m’ont proposé de rejoindre l’équipe pour faire la programmation du lieu et du festival Soirs d’Été. C’est comme ça qu’on a commencé à organiser là-bas des masterclasses et des concerts d’électro, de musique du monde ou encore de musique expérimentale. Il y avait aussi un petit manoir qui accueillait des artistes en résidence. C’était assez collégial comme aujourd’hui à la Marbrerie.
C’est donc cette collaboration qui a donné naissance à la Marbrerie ?
Oui. On a acheté le lieu fin 2009. Il faut imaginer le lieu complètement vide, pas du tout protégé, à l’arrache. Jusqu’en 2012, on a organisé pas mal de concerts un peu impromptus, undergrounds, mais toujours avec l’idée de l’ouvrir un beau jour au public. En 2012, j’arrête un peu tout et je me consacre à la recherche de financement pour ouvrir le lieu. On arrive à décrocher une subvention de la région d’aménagement et d’investissement technique. Ce qui nous permet d’enclencher une demande au crédit coop et ainsi de suite, tout ça petit à petit, avec des petits moyens.
Vous avez donc réussi avec un petit budget à ouvrir un lieu qui a une programmation à la fois dense et éclectique !
Aujourd’hui on a un lieu qui fait presque 700 places dans lequel on propose plusieurs activités : des concerts, des résidences artistiques, de la danse, etc. Notre univers va de la musique classique à la musique du monde ou contemporaine, électronique, expérimentale, ou encore pop. De temps en temps un peu de rock, on y vient.
Niveau programmation qui fait quoi ?
On est une petite équipe, c’est vrai qu’on a tous nos tâches mais ca reste collaboratif. Moi, je suis en charge de la programmation mais on échange beaucoup là-dessus avec mes deux associés et on essaye de garder une libre circulation des idées. L’esprit est très familial. Pareil pour la cuisine, y’a des moments où je vais venir aider, faire la plonge. C’est une sorte de roulement pas du tout hiérarchisé qui s’est mis naturellement en place. À côté de ça François et Catherine ont gardé une activité d’architectes, moi je bosse à temps plein et Sarah est en stage à la régie. On a aussi plein d’autres gentils bras qui nous aident.
Vous avez aussi une belle cuisine ! Vous en faites quoi ?
On vient d’ouvrir une cantine il y a deux semaines. On accueille aussi des entreprises pour faire des shooting photos par exemple. C’est ce genre d’activités qui nous permettent de rester sur un fonctionnement privé et de ne pas trop dépendre des subventions.
Quand avez-vous entendu parler de ce lieu pour la première fois ?
La première fois c’était François. Avec son métier d’architecte on le sollicite beaucoup pour visiter des lieux, avoir son avis, son ressenti, sa manière d’exploiter… Il a visité ce lieu avec des promoteurs à l’époque et a décidé de l’acheter.
C’était donc une marbrerie ?
C’est un bâtiment qui a reçu plusieurs activités artisanales comme pas mal d’autres lieux à Montreuil. Je pense notamment aux Instants chavirés. Ici ca a été un lieu de stockage de peinture, de fûts de bière puis une marbrerie qui façonnait des cheminées et des bouts de façades.
Et ça s’est arrêté quand?
Ca s’est arrêté dans les années 90, ça appartenait à une famille. On est arrivé et on avait l’impression que les mecs étaient partis 3 jours avant. Y’avait plein de dossiers, plein de marbres différents, les machines… Ca donnait une atmosphère étrange et très marrante. Un espèce de bordel. On en a gardé une partie mais on a jeté le gros du truc.
Vous êtes arrivés dans le lieu et vous avez fait pas mal de travaux. Vous vous y êtes pris comment ?
Le gros du travail, c’était l’isolation acoustique. L’enjeu principal de ce genre de lieu c’est de pouvoir travailler la nuit sans emmerder tes voisins. On a doublé toute la toiture avec 70 tonnes de béton pour faire une double coque. Le principe de l’acoustique, c’est qu’il faut un matériau plein, du vide et encore un matériau plus léger pour dissoudre au maximum les fréquences basses, qui sont les fréquences qui posent le plus de problème. Tous les parpaings qui sont autour de nous, ca a été une galère à monter mais c’était essentiel.
Ça a pris du temps de faire tous ces travaux ?
Ca a été très rapide. On a fait ca en quelques mois, de janvier à septembre.
Tu as travaillé sur le chantier ?
On avait nos bureaux sur le chantier, j’ai dû porter pas mal de sacs de ciment. On était au quotidien sur place, pour aider et diriger les gars. On a accroché nos vies à ce lieu donc pour nous c’était important d’être là au jour le jour. Vous pouvez le voir, le lieu est resté assez brut, pas parce que c’était important pour notre identité mais parce qu’on a vraiment eu juste ce qu’il fallait niveau argent pour finir le lieu. Chaque euro a été dépensé dans ce qui nous semblait nécessaire.
T’as un souvenir marquant à nous raconter ?
Le premier souvenir c’est l’ouverture. Ca faisait depuis 2009 qu’on avait le lieu. Ca a été assez tendu et compliqué jusqu’au bout donc quand on accueilli le Quatuor Belá dans le cadre du festival d’Île-de-france, ca a été un grand moment. On a fait complet, la salle était blindée. Je me souviens aussi du concert de Bachar Mar-Khalifé, un ami avec qui je suis parti au Liban et que j’aime beaucoup. Sa performance au piano était inoubliable.
Et alors, vous avez quels rapports avec les Montreuillois ?
Au début on a eu des crews de Montreuil qui sont venus nous voir en mode “mais nous on rêve d’avoir un lieu comme ça à Montreuil, est ce qu’on peut faire des soirées ici ?” On a fait des soirées avec que des Montreuillois à 400-500 personnes, supers métissées avec un public socialement très mélangé. L’ambiance était très chouette à chaque fois et je pense que ce genre de public est assez représentatif de la ville de Montreuil.
Vous accueillez des publics divers, la mixité est-elle importante pour vous ?
On la cherche sans la chercher. Nous, on n’a pas de service d’action culturelle comme dans une institution classique. Notre vraie force c’est que c’est facile de pousser la porte du lieu. La mixité elle découle naturellement de notre proposition artistique et de tout ce qu’on crée dans le lieu. On peut pas répondre à tout mais on fait le max !
Toi tu habites à Montreuil ?
Oui, Croix de Chavaux !
Depuis toujours ?
Non pas du tout, je viens de Vendée, pas loin de Nantes. Je suis parti trois ans à Lyon faire des études en culture. J’ai bossé dans un théâtre au Canada, puis j’ai bossé trois ans dans un théâtre qui faisait de la résidence en milieu hospitalier. Ensuite il y a eu la rencontre avec François et Catherine.
Est ce que tu te sens déjà Montreuillois ?
(Rires) Je me sens Montreuillois parce que c’est une ville à laquelle je ne m’attendais pas forcément. Au début je logeais dans la Marbrerie, pendant 2-3 ans, en mode squat. C’était assez marrant. Et très vite, j’ai trouvé la ville attachante, Maintenant quand je me ballade à Paris, c’est presque étrange. Quand tu reviens à Montreuil, 2ème ville malienne, hyper cosmopolite, t’as une énergie différente. C’est presque un village, tous les gens se connaissent et c’est à seulement un quart d’heure du centre de Paris. Je dirais enfin qu’il y a une vraie fierté montreuilloise ; mais de manière plus générale je sens qu’il y a une identité forte de l’est parisien qui se construit petit à petit. Que tu sois de Montreuil, de Romainville, du 20ème arrondissement ou du 19ème, tu peux sentir qu’il y a une culture commune qui se développe.
Selon toi, il y a une explication à ce maillage ?
Oh bah ce sont des choses qui ont déjà été étudiées, notamment à New York. À un moment donné, y’a des gens qui se sont installés ici parce que le foncier était moins cher. Montreuil c’est le cas. Il y a 15 ans, y’a beaucoup de gens qui sont venus s’installer ici parce qu’ils pouvaient s’acheter une maison avec un jardin. L’arrivée des artistes et la proximité du métro sont venues renchérir cette dynamique. Une des forces de Montreuil malgré tout c’est d’avoir réussi à préserver la coexistence des communautés. Dans les faits elles ne font peut-être que se croiser, mais dans ce croisement il y a un lien capillaire qui se crée. Y’a une fierté du métissage. Je me souviens notamment de scènes hallucinantes où des mecs du FN qui venaient tracter Place du marché se font jeter. Il y a une culture de l’accueil en fait. Et de fait de rejet de toute xénophobie.
C’est quoi la suite pour la Marbrerie ?
D’essayer de relever la tête niveau boulot (rires). En fait, assez vite il y aura la salle du bas qu’on va pouvoir exploiter (résidences d’artistes, bibliothèque sonore) et en faire un lieu ouvert 24h/24h. Comme ça la Marbrerie serait non plus seulement un lieu de nuit mais surtout un lieu de vie.
Vous êtes assez au niveau de l’équipe ?
Hier soir j’ai fait 10h – 2h du matin. Mais les choses montent petit à petit. C’est à nous de trouver le bon équilibre. Sans aller trop vite. Parce que ce que je trouve très important et ultra agréable c’est le côté familial du lieu. Toute l’équipe reste accessible et c’est ce qui fait la force du lieu.
Et y’a quoi ce soir ?
Une petite pena avec des amis argentins qui viennent jouer pour nous. Vous êtes les bienvenus !
Infos pratiques : La Marbrerie, 21 rue Alexis Lepère, Montreuil (93). Du mercredi au samedi de 12h à 2h. Bar et restauration ouverts les soirs de concerts. La programmation sur lamarbrerie.fr/programmation et plus d’infos sur la page Facebook.
25 mars 2017 - Montreuil