Pourquoi ce festival citoyen des « périféeries urbaines » ?
Jean-Michel Ribes : Il me semble important que le théâtre du Rond-Point se fasse l’écho des créateurs mis à l’écart. Nous avons besoin d’éclaireurs, de gens qui changent le regard. Sans Victor Hugo et les Misérables, il y aurait toute une partie de la population qui serait encore totalement oubliée. Il a révélé ce qui n’existait pas aux yeux des tenants de l’information et de la culture. C’est pourquoi nous essayons le plus possible de voguer sur des mers nouvelles, pour trouver d’autres langages. D’ailleurs, il me paraît nécessaire de réfléchir à un autre mot que banlieue pour la rendre enfin désirable.
Jean-Daniel Magnin : A ce sujet, ce que je retiens des entretiens que nous avons effectués depuis un an, c’est que la notion de Grand Paris n’existe pas encore. J’ai aussi constaté que le périphérique n’était pas perçu comme une frontière mais comme une voie de liaison entre les différentes banlieues. Fort de tout ce travail de rencontres, nous avons souhaité éviter à tous prix de tomber dans les poncifs qui reviennent sans arrêt lorsque l’on parle de banlieue. Nous avions également en mémoire les prestations ici de La Rumeur et de Kery James qui avaient vu le public du Rond-Point se mélanger avec celui de ces deux références du rap en France.
Les artistes sont-ils les plus à même de faire évoluer les représentations sur la banlieue ?
Jean-Michel Ribes : Si l’on observe ce qui s’est passé avec le théâtre des Amandiers à Nanterre, on voit qu’il a fait beaucoup pour l’image de la ville. Pour exister aux côtés de Paris, qui incarne le centre de la France depuis Philippe Auguste (1180-1223), la banlieue se doit de raconter des histoires. Et cela passe par les artistes. Ce fut déjà le cas par le passé avec les peintres impressionnistes qui ont dressé le portrait des environs de Paris. Le charme de la banlieue n’est aujourd’hui jamais montré. Il s’agit de sortir d’un regard méprisant et de révéler ce qu’elle recèle de désirable et d’excitant pour donner envie. La notion de plaisir est centrale, ce qui implique d’en finir avec le devoir de culture. Le mariage forcé avec la Joconde et Racine, ce n’est plus possible ! Les gens doivent pouvoir dire leur émerveillement pour des choses qui ne relèvent pas à l’heure actuelle de la culture officielle. Enfin, le discours qui consiste à laisser penser que les habitants des périphéries ont besoin qu’on leur apporte la lumière est dépassé. A l’image des centrales atomiques construites un peu partout en France sur ordre de l’Etat centralisateur pour alimenter nos ampoules.
Comment va se dérouler le festival ?
Jean-Daniel Magnin : Durant quinze jours, nous allons accueillir des débats, des performances et des conférences pour renverser notre vision sur la banlieue et les marges. Le festival s’ouvrira par un grand oral désopilant du Barreau de Paris avec deux questions : « Faut-il détruire le périphérique ? » et « Le populisme est-il forcément populaire ? ». Florence Aubenas en sera l’invitée d’honneur. Nous donnerons ensuite carte blanche à la revue Socialter pour parler gentrification. Nous aurons une conférence-performance de La Rumeur, une conférence musicale sur le jazz manouche avec David Reinhardt, petit-fils de Django Reinhardt, une démonstration de danse voguing ainsi qu’une soirée consacrée à la périphérie vue par la science-fiction.
Infos pratiques : Festival citoyen des « périféeries urbaines » au théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin Delano Roosevelt, Paris (8e). Du 4 au 18 février. Accès : Métro Champs-Elysées – Clemenceau Lignes 1 et 13 et Métro Franklin D. Roosevelt Lignes 1 et 9. Plus d’infos sur theatredurondpoint.fr
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29 janvier 2019 - Paris