À l’occasion de ses 10 ans, Enlarge your Paris publie jusqu’à la fin de l’année une série « Portraits de Grand-Parisiens » qui sont une source d’inspiration et la raison d’être de notre média local.
Il vient tout juste de fêter ses 35 ans. Trois décennies et demie, ce n’est pas vieux. Mais, quand on sait que le trentenaire en question est un vidéoclub, voilà une longévité qui force le respect. Le 23 septembre 1988, Éric Ouvrard et sa sœur inaugurent leur magasin, avenue de Verdun à Ivry (Val-de-Marne). La boutique voit le jour grâce à un petit héritage providentiel. Cette année-là, c’est la dernière année d’existence des V2000, ces vidéocassettes produites par Philips et Grundig. Bientôt, leur concurrente, la VHS – élaborée par JVC – emportera tout sur son passage.
Toujours est-il qu’en cette fin des années 80, la vidéo est à la fête. « Le samedi, les gens faisaient la queue jusque sur le trottoir, se rappelle Éric. Ils réservaient les nouveautés pour le samedi soir. » C’est l’âge d’or des séries B qui sortent directement en vidéo. « Les séries B, c’était vraiment toute la magie de la VHS ! » Évidemment, le magasin comporte son rayon dédié aux films pornographiques, qui constitue une manne non négligeable. « Sur le distributeur 24 h/24, cela représentait environ 50 % des recettes. » Et, tous les ans, on célébrait l’anniversaire du vidéoclub avec une tombola. « Les éditeurs donnaient plein de goodies, des T-shirts, des trucs comme ça… »
Les Schtroumpfs à la place d’un film X
Petit à petit, la situation se tend. La montée en puissance, au début des années 90, de chaînes de location vient fragiliser les indépendants. Car chaque décennie amène son lot de mauvaises nouvelles. En 2002, l’apparition de eMule, un site de téléchargement, fait la joie des pirates cinéphiles. « C’est ce qui nous a fait le plus de mal », estime Éric. En 2014, Netflix débarque en France. Quant à la chronologie des médias, elle se resserre, réduisant la marge de manœuvre des vidéoclubs pour exploiter un film. Alors certes, Éric aurait pu, comme nombre de ses confrères, mettre la clef sous la porte et se repasser en accéléré les souvenirs qui ont jalonné ces années. Comme ces gendarmes d’une caserne voisine venus louer un porno et qui, à la suite d’une erreur d’Éric, se sont retrouvés à visionner Les Schtroumpfs. Il aurait pu soupirer chaque fois qu’un client passe la porte et s’exclame : « Ah mais vous êtes encore là, vous ! Vous n’avez pas fermé ! » « Je pourrais regretter les années 90, explique-t-il, mais il faut bien vivre avec son temps. » C’est pour cela qu’il a choisi la diversification.
Dans son échoppe, Éric fait office de relais colis pour les habitants du quartier. Il a également ouvert un coin dévolu aux BD d’occasion comme aux vinyles. Les mangas ont fait leur apparition sur ses étagères.
« T’as reçu mes Robocop, Éric ? »
Lenny vient de surgir dans la boutique. Cela fait dix ans qu’il la fréquente et qu’il y achète des DVD. Car Éric n’a pas délaissé son cœur de métier. La boutique compte entre 6 000 et 7 000 DVD et VHS. S’il continue à les louer – « Il y a des gens qui n’ont pas envie d’aller sur les plateformes ! » –, il les vend aussi désormais. À une clientèle de proximité comme Lenny mais aussi via Internet en tant que vendeur professionnel. Et si la vente online lui a permis de se maintenir à flot, il préfère évidemment le contact en direct avec la clientèle. « Il faut conseiller, c’est aussi ce qui me plaît. D’autant que j’ai des clients qui sont assez calés. » Lenny s’exclame :
« Wouah ! T’as Delta Force 2 ! Je te le prends ! » En l’occurrence, un film avec Chuck Norris. On hausse un sourcil, mouvement qui n’échappe pas à Éric.
« Franchement, il a fait quelques bonnes séries B, souligne-t-il. Comme Steven Seagal ou Van Damme… »
Des trentenaires viennent montrer à leurs enfants comment c’était avant
Lenny nous dresse la liste des films qu’il a commandés récemment à Éric. On y trouve en vrac Sliver, un thriller avec Sharon Stone, Dancing Machine, un polar des années 90 avec Delon en prof de danse ou encore New Jack City, avec Wesley Snipes et Ice-T. « Moi, je ne suis pas très Internet, explique-t-il. Et puis, avec le DVD, je peux revoir le film autant que je veux. Il ne disparaît pas, comme sur les plateformes. » Des irréductibles comme Lenny, Éric en compte évidemment plusieurs dans sa clientèle. Mais aussi des trentenaires qui veulent montrer à leurs enfants « comment c’était avant ». Comment voit-il l’avenir ? Éric hausse les épaules. « Chaque année, je pense que je vais fermer, alors… » Sur le comptoir, on trouve en évidence le DVD du film de Sébastien Betbeder. Son titre : Tout fout le camp. On se gardera bien d’y voir un message caché puisque, année après année, Éric et son vidéoclub sont toujours là.
Infos pratiques : Vidéoclub Verdun, 80, avenue de Verdun, Ivry (94). Ouvert du lundi au samedi de 15 h à 20 h. Tél : 01 46 58 75 93. Accès : tram T9 arrêt La Briqueterie
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6 avril 2023 - ivry