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Balade botanique au Père-Lachaise, le plus grand espace vert de Paris

Le cimetière du Père-Lachaise à Paris / © Smilla 4 (Creative commons - Flickr)
Le cimetière du Père-Lachaise à Paris / © Smilla 4 (Creative Commons – Flickr)

Il tient son nom du confesseur de Louis XIV, le père François d'Aix de La Chaise. Le Père-Lachaise est le plus grand cimetière de Paris mais aussi son plus grand espace vert avec ses 44 ha. Depuis l’interdiction des pesticides, la nature y est bien vivante. Ce qu'est allé constater John Laurenson en compagnie de l’ethnobotaniste Valentine Diguet.

Cela faisait un moment que je n’étais pas venu au Père-Lachaise (20e). Pour la première fois, je vois le « mur des Morts » inauguré en 2018 où les noms des 94 415 Parisiens tombés pour la France durant la guerre de 1914-1918 sont inscrits sur une plaque le long du mur extérieur. Bien souvent, les cimetières hexagonaux reproduisent le même schéma, avec leurs stèles de pierre alignées, leurs allées de gravier et leur herbe coupée court comme les cheveux d’un Saint-Cyrien. Ce n’est pas l’esprit du Père-Lachaise. De moins en moins. Ici, la nature vivante se mêle aux morts et ce vaste espace de repos éternel se transforme, peu à peu, en jardin sauvage et romantique.

Nous y entrons avec l’ethnobotaniste Valentine Diguet après un violent orage. Les troncs sont noircis par la pluie. Des arbres, il y en a près de 4 000 de 80 essences différentes. Certains, en poussant, ont écarté les pierres tombales comme si c’étaient des mottes de terre. Cela me rappelle Zola. « En mai, écrit-il dans La Faute de l’abbé Mouret, une végétation formidable crevait ce sol de cailloux… un long effort silencieux soulevant les roches d’un frisson. » C’est exactement ce qui se passe ici.

Quand la nature reprend ses droits

« Qu’est-ce que c’est ? », demandé-je à Valentine à propos de « la petite fleur blanche toute mignonne » comme elle dit qui pousse sur la première tombe examinée. C’est une « perce-pierre ». Sur le flanc de la même pierre tombale, il y a une deuxième fleur avec une profusion de petites corolles violet pâle que je reconnais : la « ruine-de-Rome ». Alors faut-il laisser les pierres se briser, le cimetière s’ensevelir dans le vert comme une cité perdue ?

Le conservateur des lieux, Benoît Gallot, pense que oui. Dans La Vie secrète d’un cimetière (éd. des Arènes), vendu à 20 000 exemplaires et sorti en poche en mars 2024, il raconte comment la nature y reprend ses droits. Avant 1804, c’était elle qui régnait ici en maîtresse. « Ah, s’exclame Valentine, une laitue des murailles ! » Il y a donc aussi des plantes comestibles au Père-Lachaise… Surtout depuis que la Ville a mis le Roundup au placard. Je déguste une des feuilles de la fameuse laitue. Ça ressemble plus à du pissenlit qu’à de la laitue cultivée mais on en retrouve tout de même le goût agaillardi d’une pointe d’amertume. À côté, on découvre aussi une violette et des cardamines, ces petites fleurs à longues tiges élégantes et aux pétales d’un blanc très légèrement rosé : un teint de jeune marquise.

Nous montons ensuite sur la colline des Maréchaux, où les chefs de guerre napoléoniens se reposent en majesté dans leurs tombeaux massifs, sous les érables et les sureaux. Comme dans les rues de Paris, quand sortent les feuilles des marronniers, c’est beau de voir la sobriété de couleurs et les lignes droites de la pierre communier avec les rondeurs vert vif du feuillage. On entend les oiseaux. Le vrombissement de la circulation de la capitale se fait quant à lui plus lointain. On vagabonde, on hume l’air et on s’arrête devant une tombe dont on n’aperçoit presque plus l’inscription tellement elle est couverte de lierre. Devant la sépulture s’épanouissent un fouillis de jeunes érables et d’herbe-à-Robert. Cette dernière n’est autre qu’une cousine campagnarde du géranium des serres.

Une ruine-de-Rome près d’une tombe du Père-Lachaise / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

Le Père-Lachaise, précurseur des jardins publics

Les fleurs ont toujours accompagné les morts, des pharaons de l’Égypte antique à qui on glissait des guirlandes de jasmin ou de menthe poivrée dans les sarcophages jusqu’aux chrysanthèmes que l’on pose sur les tombes de nos défunts à la Toussaint. Mais ici, ce sont des fleurs vivantes. « Le symbolisme est très différent, explique Valentine. C’est la vitalité qui côtoie les morts, le renouveau. »

Cette grande végétalisation est récente mais, même à ses débuts, on a voulu que ce cimetière soit vert. C’était le souhait de son créateur, l’architecte Alexandre-Théodore Brongniart, celui du palais Brongniart, l’ancienne Bourse de Paris (2e). Les Anglais n’étaient pas appréciés à cette époque des guerres napoléoniennes mais les jardins à l’anglaise, si. Quand le cimetière de l’Est – comme il s’appelait jadis – ouvre, les Parisiens s’y ruent. Pour s’y recueillir, certes, mais aussi tout simplement pour s’y promener. Car, à l’époque, ce n’est pas seulement le plus grand espace vert de Paris mais aussi à peu près le seul. Il n’y a pas encore de jardins publics. Pour cela il faudra attendre Napoléon III, instigateur des parcs des Buttes-Chaumont (19e) et Montsouris (14e).

Mais ce n’est pas la seule nouveauté qui a pu frapper ces premiers visiteurs. Car c’est aussi à cette période que l’on commence à enterrer les pauvres individuellement. Jusque-là, leur destin s’achève dans la fosse commune, comme celle de l’ancien cimetière des Innocents aux Halles (1er). Il s’agit alors du plus grand cimetière de Paris, où les cadavres, vers la fin, étaient empilés sur 4 mètres de profondeur. L’endroit dégage des odeurs pestilentielles et est infesté de rats. Le risque d’y attraper des maladies graves y est grand. La création du Père-Lachaise et d’autres cimetières aux abords de Paris résulte de la volonté de Napoléon Ier d’en finir avec cette horreur. Le Père-Lachaise incarne un souci hygiéniste.

Une stèle recouverte par de jeunes érables et par un tilleul au Père-Lachaise / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

« Ashes to ashes, dust to dust »

Avec Valentine, nous croisons la tombe de Pierre Bourdieu et, presque à côté, celle d’Alain Bashung. Leurs conversations après la fermeture du cimetière doivent être intéressantes. La stèle du chanteur est couverte du rouge à lèvres d’une infinité de baisers ; les passionnés du sociologue font preuve de plus de retenue. Dans l’herbe qui pousse autour des deux sépultures, je remarque des muscaris, ces fleurs à grappes bleu électrique. Les oiseaux chantent dans les branches feuillues des aulnes.

Il y a bien sûr au Père-Lachaise ces arbres que les hommes ont depuis longtemps choisis pour accompagner les morts, comme l’if. « Il symbolise la mort et la donne aussi », m’informe Valentine. Tout dans ce sombre conifère est mortel, des aiguilles jusqu’aux graines de ses baies de sorcière. Quant au cyprès, on l’appelle « l’arbre du chagrin ». Son association avec les morts est née de ce mythe grec : le jeune Cyparisse tua, par mégarde, son plus fidèle compagnon, un cerf sacré. De chagrin, il voulut se donner la mort. Apollon, séduit par la beauté du jeune homme et touché par sa douleur, tenta de le consoler. Rien n’y fit. Il se transforma en arbre, dont Apollon fit le symbole de l’inconsolable tristesse.

« Et la tombe de Jim Morrison alors ! ? »

« Je sais où elle est, me répond Valentine, mais je te préviens, ce n’est pas joli joli ! » En effet. La sépulture du chanteur des Doors est sans doute la plus visitée de ce cimetière de 70 000 tombes ; mais, avec son petit air de lendemain de free party, c’est sans doute aussi la plus piteuse. Est-ce un hasard ? Les fleurs sauvages ne s’y pressent pas. Il y a seulement un ou deux pissenlits pour boire une cannette de Heineken et regarder dans le vide.

Que le dernier lieu de repos du créateur de LA Woman puisse être recouvert aux trois quarts de végétation, c’est tout le bien qu’on lui souhaite. James Douglas Morrison, comme l’indique sa stèle, était un romantique après tout (dans le sens XIXe siècle du terme). Or tombes + lierre = romantisme, c’est mathématique.

Dans le beau rituel funéraire anglais qu’un prêtre a peut-être célébré ici pour Jim Morrison, on dit : « Ashes to ashes, dust to dust ». Nous sommes issus de la terre et nous y retournons. Au Père-Lachaise, plus que jamais, nos morts retournent à la nature et cette nature est de plus en plus riche et de plus en plus belle. On dit même que maintenant, en été, il pousse dans ce jardin extraordinaire des orchidées sauvages…

Infos pratiques : Cimetière du Père-Lachaise, 28 ter, boulevard de Ménilmontant, Paris (20e). Ouvert tous les jours. Accès : métro Père Lachaise (lignes 2 et 3). Plus d’infos sur paris.fr

Un muscari d’Arménie dans une allée du Père-Lachaise / © John Laurenson pour Enlarge your Paris

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