Société
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« Valdoisiens, sommes-nous les relégués du Grand Paris ? »

Le Val-d'Oise vu du ciel à proximité de l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle /  © Citizen59 (Creative commons - Flickr)
Le Val-d’Oise vu du ciel à proximité de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle / © Citizen59 (Creative commons – Flickr)

Après l'abandon du projet du mégacomplexe de loisirs Europacity dans le Val-d'Oise, un collectif de jeunes cadres, entrepreneurs et responsables associatifs du territoire, a choisi d'adresser une lettre ouverte au Président de la République Emmanuel Macron. La voici reproduite dans son intégralité.

Monsieur le Président, ici, nous vivons au quotidien l’état d’urgence économique et sociale ! Vous venez d’annoncer l’arrêt du projet Europacity dans le triangle de Gonesse (Val-d’Oise). Dans le prolongement de cette décision, la gare de la ligne 17 du métro Grand Paris Express se retrouve fortement menacée. Et avec elle, la promesse de formations, d’emplois, de transports améliorés et d’une attractivité renforcée sur le territoire du Grand Roissy dans lequel nous vivons.

Les exigences de développement durable et de compacité en matière d’aménagement afin de limiter l’étalement urbain sont désormais incontournables. L’expansion du nombre de grandes surfaces commerciales à l’oeuvre aujourd’hui, dans le Val-d’Oise comme ailleurs en France, se fait sans pour autant que le pouvoir d’achat des ménages évolue au même rythme. Du commerce, il y en a trop dans les périphéries et trop peu dans les centres de nos villes. Les projets urbains se doivent donc d’intégrer toutes les dimensions de l’écologie : des modes de déplacement propres, la densité pour limiter la consommation de terres agricoles, l’usage de matériaux sains, la sobriété énergétique …

Le Grand Roissy au coeur d’un paradoxe

Mais le développement durable repose sur trois piliers : l’écologique, le social et l’économique. Et à ce titre, le projet du triangle de Gonesse s’implante dans un contexte social, territorial et urbain sans égal sur le territoire national et que l’on ne peut balayer d’un revers de main. Depuis des années, voire des décennies, le Grand Roissy est au cœur d’un paradoxe : avec l’aéroport Charles de Gaulle au centre, c’est un territoire dynamique économiquement. Pourtant, nos villes connaissent une paupérisation sans précédent. Le dynamisme généré par l’aéroport ne profite pas suffisamment aux habitants du territoire.

Le constat est alarmant. Plusieurs villes de ce Grand Roissy font partie du triste palmarès des villes les plus pauvres de France : Garges-lès-Gonesse, Villiers-le-Bel, Pierrefitte ou encore Sarcelles. Les inégalités socio-économiques se creusent entre les territoires. L’enjeu du logement est aussi très fort : au-delà des cités, le tissu pavillonnaire se dégrades avec le phénomène des marchands de sommeil. 

Les transports en commun sont catastrophiques : les RER B et D souffrent de leur saturation et de dysfonctionnements récurrents. Les lignes de bus sont insuffisantes et irrégulières. L’arrivée du métro automatique, couplée à une refonte du réseau de bus, permettrait enfin de disposer d’un moyen de transport fiable vers l’ensemble de la région parisienne.

Le taux de chômage chez les jeunes dépasse 20% dans de nombreux quartiers. On rencontre une déconnexion profonde entre les besoins en emploi des entreprises et les qualifications des habitants. Pire encore, il n’existe aucune université sur le territoire, la plus proche étant celle de Saint-Denis à près de 20 km et environ 1h de transport.

A lire : Clap de fin pour le projet de mégacomplexe de loisirs Europacity

Maison abandonnée à Goussainville près de Roissy après la création de l'aéroport Charles de Gaulle au début des années 1970 / © Sylvia Fredriksson (Creative commons - Flickr)
Maison abandonnée à Goussainville près de Roissy après la création de l’aéroport Charles de Gaulle au début des années 1970 / © Sylvia Fredriksson (Creative commons – Flickr)

Une accumulation de projets sans lendemain

Nous avons vécu et trop souvent entendu autour de nous dire qu’ici on s’ennuie, que nos villes manquent d’activités de détente, festives, culturelles. Des tas de projets qui devaient améliorer la situation, aucun n’a vu le jour. Il y a peu de musées, de théâtres, d’espaces pour que les talents artistiques du territoire puissent s’exprimer. 

Au regard de votre décision dans ce contexte particulier, nous sommes très inquiets. Quelles perspectives donner aux jeunes du territoire qui, après le lycée, doivent passer des heures dans des transports défaillants pour étudier post-bac ? Doivent-ils se contenter d’emplois peu qualifiés parce qu’ils n’ont pas la chance d’être nés « au bon endroit » ? Sommes-nous condamnés à quitter ce territoire pour trouver une meilleure qualité de vie alors que nous avons notre famille, nos amis, nos habitudes ici ? La vocation de notre territoire est-elle, en somme, d’accueillir les relégués du Grand Paris ?

Nous sommes nombreux à refuser ce constat. Europacity était probablement un projet imparfait. Mais il aurait permis d’accueillir, autour de la gare du métro, des centres de formation, des bureaux et activités à valeur ajoutée, des équipements culturels (halle d’exposition, musée, salle de concert), un parc de loisirs. Ces projets ont au moins le mérite de proposer des réponses à l’urgence économique, sociale et culturelle que l’on vit ici, au quotidien. 

Nous attendons de votre part une réaction et des actes forts en faveur de notre territoire et de ses habitants. Nous vous invitons à venir vous rendre compte sur place de ces réalités et de l’urgence d’agir au plus vite pour enfin rendre concrète la promesse républicaine de l‘égalité des territoires.

Les signataires :

Khader BERREKLA, architecte, Goussainville (95) – Jibril NEMER, marketing manager, Bobigny (93) – Léa DOUGUET, étudiante, Gonesse (95) – Soufyane BELKACEMI, responsable associatif, Louvres (95) – Yusuf JHEENGOOR, auditeur financier, Stains (93) – Alexandre LESOEUR, étudiant, Le Thillay (95) – Marwan CHAMAKHI, ingénieur, Goussainville (95) – Sarah HOUFAF, comptable, Villetaneuse (93) – Clardian MOUNZEO, entrepreneur, Roissy-en-France (95) – Mbareck BEN MOUSSA, responsable associatif, Drancy (93) – Samiha AMIN, entrepreneure, Gonesse (95) – Lamine KONATE, responsable associatif  (95) Anaëlle KEMAYOU, étudiante, Gonesse (95) – Zahra BOUTLELIS, journaliste, Goussainville (95) – Jessica MPASSI, entrepreneure, Roissy-en-France (95) – Amin IHAB, agent territorial, Gonesse (95) – Aïcha DOGHRI, professeure, Aubervilliers (93) – Inès ZIANI, étudiante, Stains (93) – Gaye DOUCOURE, étudiant, Sarcelles (95) – Iqra ISHAQ, étudiante, Stains (93) – Tarik LAHRACH, responsable associatif (95) – Virgil MONSTIN, étudiant, Gonesse (95) – Nassim MAYOU, étudiant, Saint-Denis (93) – Ebru HANILCE, consultante, Goussainville (95) – Ayoub DAF, responsable associatif, La Courneuve (93) – Chaïmae BETTIOUI, étudiante, Gonesse (95) – Naïma RACHID, ingénieure, Stains (93) – David MONLOUIS, étudiant, Gonesse (95) – Mohammad MAQBOOL, entrepreneur, Goussainville (95) – Ifticene BOUSSENAH, étudiante, Saint-Denis (93) – Adil HABCHI, étudiant, Arnouville (95) – Wassim BOUDAYA, étudiant, Pierrefitte-sur-Seine (93) –  Loïc ROUSSELOT, responsable associatif, Gonesse (95) – Nour CHAKHCOUKH, chef de projet, Saint-Denis (93) – Caroline PAGARD, étudiante, Gonesse (95) – Bastian BOURDEAUX, étudiant, Arnouville (95)

A lire : Les lisières du Grand Paris vues par l’écrivain-voyageur Guy-Pierre Chomette