On a l’impression aujourd’hui que tout le monde veut mettre de la nature dans ses projets urbains, des promoteurs immobiliers aux élus en passant par les acteurs culturels. Comment l’expliquez-vous ?
Marion Waller : Ce qui est étonnant, c’est la rapidité avec laquelle cette idée, ou cette envie de nature en ville, s’est répandue. Lorsque je travaillais sur le programme électoral d’Anne Hidalgo en 2014, quand on parlait de cette thématique, beaucoup trouvaient que c’était fantaisiste. Le consensus s’est fait en très peu de temps, en seulement deux ou trois ans. Je vois plusieurs raisons à cela. Tout d’abord la prise de conscience environnementale et le contexte parisien, avec une ville dense et minérale. Les Parisiens se sont rapidement montrés intéressés par toutes les nouvelles formes de végétalisation, que ce soit les permis de végétaliser, l’agriculture urbaine… Au budget participatif de la ville, ce sujet est ressorti à chaque fois. En ouvrant cette porte, la Ville de Paris a révélé les possibilités et a créé la demande.
La nature en ville est-elle devenue un marqueur social ?
Il est clair que la nature en ville est devenue à la mode. Mais c’est une nécessité absolue quand on parle de biodiversité ou de rafraîchissement de la ville ! Il était aberrant de ne pas intégrer la nature en ville dans les projets urbains. On ne fait aujourd’hui que rattraper un retard incroyable. Certains peuvent tenter d’utiliser la nature en ville comme un gadget, mais l’important est que le débat soit ouvert et qu’il ne se referme pas !
On sort d’une culture de séparation entre la nature et la ville…
Exactement, nous sommes en train de rompre petit à petit avec une tradition urbanistique française qui négligeait complètement la nature. Avec l’aménagement haussmannien de Paris s’est imposée une vision hygiéniste de la ville faite d’alignements d’arbres et de grands parcs mais en aucun cas de nature non maîtrisée. La nature était associée à la saleté et au désordre.
La nature n’a pourtant jamais disparu de la ville….
Pendant très longtemps, on a tout fait pour ne plus la voir. Il y a toujours eu des animaux en ville, à l’instar des rats que l’on perçoit comme des nuisibles. Vouloir voir la nature en ville est donc un progrès. Ce que l’on réapprend à voir, c’est la nature en dehors des espaces où on avait voulu l’enfermer. C’est le retour de la nature ordinaire, celle des friches, des caniveaux, des bouts de trottoir et des pieds d’arbres.
Quelles sont les limites du consensus autour de la nature en ville ?
Je vois des limites au consensus sur des grands projets urbains, notamment en banlieue parisienne. Je pense au projet Europacity qui prévoit de bétonner des sols agricoles et en même temps de proposer des toits végétalisés et maraîchers. Cela n’a aucun sens ! Certains veulent compenser la destruction de la nature par de la nature en ville. Cela passe de moins en moins bien auprès des habitants. Quand la nature en ville doit remplacer un autre type de nature, plus désordonnée, plus « naturelle », beaucoup de gens ne sont plus d’accord. Les riverains sont de plus en plus sensibles à ces sujets, et cela questionne le monde politique.
On le voit avec les abattages d’arbres, qui créent des réactions très fortes…
Les gens s’attachent à la nature « déjà-là », et on ne peut plus faire passer l’idée que certaines plantes, certains arbres, n’ont pas de valeur. C’est une bonne nouvelle. Il ne faut pas pour autant figer Paris ou profiter de cet engouement soudain pour ne plus rien faire, notamment en matière de logement social. La nature ne doit pas être une excuse, mais l’essentiel est de faire exister le débat autour de l’importance de ces écosystèmes.
L’écologue Audrey Muratet a notamment étudié en banlieue parisienne la nature des friches industrielles, et elle a montré que ces lieux étaient des refuges pour les plantes et les animaux, que la nature s’y reposait…
D’une certaine manière, toutes les villes sont des écosystèmes endommagés, dans lesquels il faut favoriser les lieux de réparation de la nature. C’est vrai que les friches sont des formes de nature en cours de reconquête, et ces lieux sont très intéressants à observer. On ne peut plus regarder ces sites comme des lieux de nature de moindre qualité. Ce sont des formes de nature hybrides, qui ont en plus une vraie valeur culturelle puisqu’ils racontent l’histoire de l’industrialisation et de la pollution des sols. Toutes les terres parisiennes sont polluées. La nature urbaine est souvent polluée. Pour autant, c’est une nature riche, complexe et qui doit nous amener à penser des projets urbains d’un nouveau genre, riches de cette hybridité.
A lire : « Il faut accepter que la nature se débrouille souvent mieux sans nous »
Vous développez dans votre livre « Artefacts naturels : Nature, réparation, responsabilité » (Editions de l’éclat), le concept de restauration écologique. Quels en sont les principes ?
La restauration écologique est en train d’émerger chez les urbanistes et les élus, mais à l’origine c’est un concept qui était pensé pour les espaces naturels impactés par des catastrophes comme des incendies ou des pollutions majeures. Dans ce contexte, la restauration écologique consiste à rétablir un écosystème dans l’état dans lequel il était avant l’accident. Mais très vite, des philosophes ont interrogé la prétention de l’être humain à vouloir façonner un écosystème selon ses idées, en le restaurant comme on restaurerait une œuvre d’art. Pour eux, il s’agissait aussi d’anticiper le risque qui consisterait à considérer que polluer n’est pas si grave dans la mesure où la technique permet de reconstruire la nature. Des entreprises ont d’ailleurs investi le champ de la compensation écologique, qui permet de compenser des destructions de milieux naturels provoquées par des travaux d’infrastructures ou des accidents industriels.
Quelle est la différence entre restaurer, régénérer et réparer la nature ?
La particularité de la restauration c’est de reconstituer la nature dans l’état dans lequel elle se trouvait à un moment que l’homme décide de juger comme étant le bon. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Les écosystèmes ne sont jamais figés à un moment précis, ils ne cessent d’évoluer. C’est pour cette raison que les philosophes de l’écologie ont préféré favoriser de nouveaux paradigmes tels que la réparation ou la réhabilitation avec un rapport à la nature moins figé.
Quel serait un critère pertinent pour une politique de réparation naturelle ?
Une bonne attitude serait de donner aux écosystèmes la capacité de se régénérer sans trop dépendre de l’action humaine. Il faut que chaque réparation soit l’occasion d’un réapprentissage et d’un tissage de liens entre les humains et un écosystème donné.
Et dans une métropole aussi dense que le Grand Paris ?
Toutes les villes ont besoin d’une restauration écologique car nous sommes arrivés à des taux de minéralité extrêmes. En ville, on ne peut pas avoir la prétention de rétablir un écosystème naturel, mais il faut créer une nature hybride. A Paris, on peut remarquer un début de restauration écologique avec les pieds d’arbres laissés libres et un début de végétalisation des rues. Ces actions symboliques perturbent certains citadins, qui trouvent cela sale ou négligé. Mais quand toutes les rues parisiennes seront végétalisées, cela deviendra un nouveau paysage urbain, et une nouvelle nature urbaine.
« Artefacts naturels : Nature, réparation, responsabilité » de Marion Waller, Editions de l’éclat, 14€
A voir : Comprendre les espaces verts du Grand Paris en une infographie
5 novembre 2019 - Paris