Société
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« La nature devient un produit de consommation »

La bergerie des Malassis à Bagnolet / © Sylvie Biscioni
La bergerie des Malassis à Bagnolet / © Sylvie Biscioni

A la tête de la bergerie des Malassis à Bagnolet, le chevrier et jardinier Gilles Amar signe un manifeste anti-greenwashing et plaide pour que le discours environnementaliste ne soit pas l'arbre qui cache la forêt des atteintes en tous genres contre la nature.

Ce texte a été publié à l’origine sur la page Facebook de la bergerie des Malassis

Gilles Amar, chevrier et jardinier dans le quartier des Malassis à Bagnolet (Seine-Saint-Denis)

Il faut se passer de temps en temps la tête sous l’eau froide et se mettre un bon coup de pied au cul pour ne pas se faire happer par la pensée fast food, par l’écologie prémâchée et inoffensive politiquement et par les boniments qui finissent par recouvrir les réalités sociales et environnementales. A l’heure où une quantité vertigineuse d’espèces disparaissent, où le nombre de petits paysans fond comme la banquise, où la terre disparaît de façon drastique de nos villes, où l’action négative de l’homme sur son environnement est de plus en plus inquiétante, on ne nous a jamais autant parlé de nature. De la nature, de l’écologie, de la solidarité, en veux-tu en voilà dans tous les bulletins municipaux. Alors que les espaces verts publics se réduisent comme peau de chagrin, que les insectes disparaissent, que chacun est aspiré par son écran, qu’il y a de plus en plus de gens qui mendient aux feux rouges avec des enfants dans les bras, que des camps de réfugiés s’érigent à défaut de déclarer que le devoir d’un accueil digne est la seule option moralement soutenable, on propose aux citadins naïfs que nous sommes une messe autour de la nature, de l’agriculture urbaine et du lien social.

La nature, l’écologie, l’agriculture deviennent des produits de consommation et de loisirs comme les autres. On nous a fait le coup de la culture pour tous et maintenant c’est au tour de la nature ; mais après la nature, il n’y a plus rien. Comme c’est barré, ça finira pareil. Dans quarante ans, seuls les plus riches auront accès à une nature qui ne sera plus qu’une réserve, un zoo, en comparaison à ce qu’elle aura été. Les plus pauvres n’auront plus de nature, d’herbe, de terre si ça continue comme ça. Elle va devenir une denrée rare. Alors quand même j’voulais dire que j’étais mort de rire quand je vois comment certains peuvent s’extasier avec plein de raffinement sur la création d’un compost collectif et participer sans s’en rendre compte au greenwashing généralisé et aliénant, visant à saturer de messages contradictoires la réalité.

Gilles Amar, fondateur de la bergerie des Malassis / © Bergerie des Malassis
Gilles Amar, fondateur de la bergerie des Malassis / © Sylvie Biscioni

Prendre garde à l’effet rustines

Une campagne municipale va débuter ; ça risque d’être encore un sacré et désolant spectacle. Ça va être à qui sera le plus écolo, le plus solidaire, le plus citoyen, le plus sympa quoi. De la com’, des belles photos, de la mauvaise foi, des promesses, des généralités, tout pour engranger les voix. Mais n’oublions pas toutes celles qui ne s’expriment pas par le vote ? Nos villes de banlieues ont changé. On y fait le show maintenant. J’envoie un petit message, de collègue à collègues, aux acteurs dynamiques de la nature en ville, de l’agriculture urbaine (je déteste ce terme), du design machin et du lien social : avez vous conscience que nos activités servent de rustines au désastre environnemental et philosophique que nous vivons ? Si oui, comment réagissez-vous à cette situation paradoxale ?

En ce qui concerne la bergerie, nous sommes la ferme des Malassis et nous défendons, avec les habitants, chaque surface de terre restante, chaque arbre qui vit ici, et le droit d’avoir accès à des espaces verts publics de proximité, beaux et plein de vie, comme le mérite ce quartier. On ne peut plus aujourd’hui, sans une certaine ambiguïté, se dire asso écolo bien-comme-y-faut et s’arroger la prérogative de définir ce qu’est la nature sans se positionner clairement face au pouvoir politique sur des enjeux comme la disparition des espèces et les impacts humanitaires et sociaux de la crise climatique ; sachant que les plus pauvres sont toujours les plus durement touchés. Il faut de la clarté, tant il y a d’enfumage.

Jardiner, aimer s’occuper des bêtes, être attaché à un arbre, observer les insectes, faire de la confiture, des yaourts, du miel, ça appartient à tout le monde. C’est universel, c’est humain. Il faut que tous ceux qui le veulent puissent le faire, ailleurs que dans des espèces de musées de la nature sympas ou lors de happenings urbains. Il y a tant de choses à dire, à écrire, et nous avons si peu de temps. Les petits mots de la bergerie des Malassis diront un peu. C’est déjà beaucoup.

A lire : « Il faut accepter que la nature se débrouille mieux sans nous »