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« Il est temps de créer le Grand Paris du bois »

Ecole maternelle « La ruche » à Perthes-en-Gâtinais (Seine-et-Marne), lauréate de l’édition 2019 des trophées bois Île-de-France / © DR
Ecole maternelle « La ruche » à Perthes-en-Gâtinais (Seine-et-Marne), lauréate de l’édition 2019 des trophées bois Île-de-France / © DR

Alors qu'auront lieu le 13 janvier à la Cité fertile à Pantin les Etats généraux de la forêt et du bois en Île-de-France, le Journal du Grand Paris a voulu en savoir plus sur ce secteur en pleine croissance en allant à la rencontre de Céline Laurens, déléguée générale de Francîlbois.

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Où en est la filière bois française ?

Céline Laurens : Nous sommes à la croisée des chemins. On sent que les acteurs de la construction sont prêts à changer de modèle, que ça frémit… La filière bois doit se structurer pour peser davantage sur les politiques publiques et les réglementations. Il faut créer les conditions propices pour répondre à la demande. Certains promoteurs ont lancé la dynamique il y a cinq ans, mais en travaillant majoritairement avec des usines situées en Autriche ou en Italie. De fait, la filière française n’était pas encore, à l’époque, suffisamment mature pour répondre à la demande. Aujourd’hui, la situation est différente puisque l’offre industrielle se développe en France.

De tous les matériaux biosourcés, le bois est le plus mûr ?

Du point de vue de l’industrialisation, des solutions et de la structuration de filière, oui, le bois est plus mature que le chanvre ou à la paille. Par ailleurs, il peut être utilisé pour les structures des bâtiments, en complément avec les autres matériaux biosourcés très performants par exemple pour l’isolation. La réglementation environnementale RE 2020, qui succèdera à la réglementation thermique RT 2012, doit encourager le recours à ce matériau, en  tenant compte du bilan carbone de la construction. Un enjeu majeur consiste, en l’occurrence, à valoriser le carbone  naturellement  stocké par le bois lors de la photosynthèse (carbone biogénique). C’est un des enjeux de la filière des matériaux biosourcés dans son ensemble.

Le bois bénéficie en outre de savoir-faire séculaire ?

Il repose sur des savoir-faire ancestraux. Certains pays, comme ceux de l’Europe de l’Est ou l’Allemagne, n’ont jamais cessé de l’utiliser, contrairement à la France, où le béton s’est imposé au XX° siècle. Certes, il nécessite davantage d’études préalables, mais moins de temps de construction. Il requiert surtout d’être pris en compte comme une option dès la rédaction par les maîtres d’ouvrage de leur cahier des charges. On ne conçoit ni ne construit un bâtiment en bois comme un bâtiment en béton. Il faut donc engager un changement de culture auprès des acteurs de l’aménagement.

Vous estimez que l’on demande beaucoup au bois ?

Aujourd’hui, on lui demande d’être plus vertueux que vertueux. Ce qui est sans doute normal pour un outsider. Pour le béton, on ne se pose pas de question. Le sable n’est pourtant pas renouvelable et l’on se demande rarement d’où il provient. Concernant le bois, le fait qu’il s’agisse d’une ressource renouvelable réduisant fortement l’empreinte carbone de la construction ne suffit pas : il faut aussi démontrer sa provenance, dire comment il a été coupé… A fortiori au sein des métropoles, où les habitants sont très sensibles à la question écologique et où l’on confond souvent exploitation productive de la forêt français et déforestation de l’Amazonie par exemple. Cela nous oblige à questionner notre modèle de sylviculture pour trouver un chemin entre ambitions écologiques et économiques.

Le bois constitue un sujet très technique ?

C’est ce qui rebute parfois certains élus et maîtres d’ouvrage. Il y a des sujets d’experts, par exemple en matière de sécurité incendie ou de structure, mais pas plus que pour le béton ou l’acier. C’est à nous, acteurs de la filière, de faire de la pédagogie pour rassurer les décideurs.

Quelle est la place de Francîlbois dans la filière ?

La filière forêt-bois se divise en deux interprofessions nationales, une pour l’amont forestier – scieries, matière première forestière, première transformation – et l’une pour l’aval – deuxième transformation (ameublement et construction). Il existe, au niveau local, 12 interprofessions régionales, dont une en Ile-de-France, Francîlbois, dont je suis la déléguée générale. Nous sommes financièrement soutenus par la région Ile-de-France et par l’Etat (Driaaf), ainsi que par France bois forêt, l’interprofession de la filière amont. La force d’une interprofession régionale réside dans sa capacité à représenter la totalité de la filière, de l’amont forestier à la construction et à accompagner – par des formations, prescription, et valorisation – le développement des professionnels et à peser sur l’évolution des modes de penser des décideurs vers la construction bas carbone.

Votre nombre d’adhérents est appelé à augmenter encore ?

Naturellement. Et en lien avec la croissance du marché de la construction bois dans le Grand Paris. Paul Jarquin, président de REI habitat, a pris la présidence de Francîlbois en mars dernier et a relancé la dynamique de l’interprofession. Nous sommes passés de 15 adhérents au mois de mars 2019 à 70 fin décembre.

Et plus particulièrement les maîtres d’ouvrage ?

Outre les architectes et les industriels, nous nous sommes particulièrement tournés vers les maîtres d’ouvrage, les collectivités, les aménageurs, les bailleurs et les promoteurs sans qui cette transition n’aura pas lieu. J’ai travaillé depuis plus de dix ans en maitrise d’ouvrage dans le Grand Paris, j’espère pouvoir les convaincre de nous rejoindre pour relever ce défi. En effet, s’ils s’engagent massivement, nous parviendrons à convaincre les industriels à investir dans de nouvelles lignes de production. C’est le rôle de Francîlbois de créer ce mouvement.

A ce titre, 3F, RIVP ou CDC habitat nous ont récemment rejoints. Epamarne, PariSeine ou la Solidéo figurent également parmi nos membres. Les autres établissements publics d’aménagement, auxquels Julien Denormandie, ministre du Logement, a demandé de réaliser 10 % des surfaces de plancher créées en structure bois, devraient également naturellement faire partie de l’aventure. Les promoteurs ont vocation à nous rejoindre en nombre, de même que la Société du Grand Paris, qui est intéressée par l’étude d’intégration de structures bois – plus légères – sur les gares du Grand Paris.

La construction du Grand Paris peut avoir un effet de levier sur toute la filière française ?

C’est en effet l’objectif. La commande issue des aménageurs du Grand Paris peut se développer rapidement dans les prochaines années. Le potentiel est là. Aujourd’hui, on construit moins en Ile-de-France que dans d’autres régions comme le Grand-Est ou la Bretagne. Mais si la construction bois s’accroit dans le Grand Paris, elle aura besoin de toute la ressource et la filière française. Il est important de comprendre que les forêts franciliennes, nombreuses (23 % de la surface de l’Ile-de-France), sont majoritairement composées de feuillus, surtout utilisés pour l’aménagement intérieur. Les résineux (douglas, pins, épicéa, etc.), qui servent particulièrement pour réaliser les structures bois des bâtiments (ossature, poteaux-poutres ou CLT), sont très peu présents en Ile-de-France mais plutôt dans le reste de la France.

Quels sont les obstacles à lever pour sécuriser la filière en Île-de-France?

Il faut, en premier lieu, une meilleure connaissance de cette ressource. Nous travaillons à l’échelle du grand bassin parisien. Il faut travailler sur les acheminements, ainsi que sur les 1res et 2es transformations et les logiques de circuits courts autour du Grand Paris. Les scieries sont très peu nombreuses en Ile-de-France. Il faut identifier les fonciers susceptibles d’en accueillir et surtout étudier les possibilités d’implantation de nouvelles usines d’assemblage ou de 2e transformation.

En effet, le bois doit pouvoir tirer profit des avantages de la filière sèche grâce à la préfabrication, ce qui réduit le nombre de camions et accélère les chantiers. Avec l’interprofession de Normandie, ProfessionBois, nous réalisons actuellement des tests pour évaluer la réduction de l’empreinte carbone résultant d’un acheminement du bois par la voie fluviale, depuis la Normandie.

En ce qui concerne la provenance, il semble important de développer des outils fiable de traçabilité et d’indicateurs liés à la gestion des forêts d’où proviennent le bois afin de répondre aux exigences des maitres d’ouvrage. Aujourd’hui, en moyenne 30 % du bois utilisé dans la construction provient de France. Le reste provient essentiellement de l’est et du nord de l’Europe (Autriche, Suède, Allemagne, Russie). Je pense que l’on peut rapidement atteindre 50 % d’origine française. A titre d’exemple, Nexity s’est engagé à ce que 100 % du bois utilisé pour le lot qu’il vient de remporter dans le Village olympique et paralympique provienne de l’Hexagone.

Le coût de la construction bois demeure-t-il un obstacle ?

Le bois demeure 10 % plus cher, en moyenne. Il me semble essentiel d’avoir un discours de vérité sur ces questions. Lorsque l’on mange bio, on accepte que cela coûte plus cher… Cette qualité et cette transition vers l’écoconstruction a aujourd’hui un coût mais cela va évoluer dans les prochaines années. L’intensification du recours à ce matériau va permettre de faire baisser les prix.

Aujourd’hui, déjà, il est courant de voir des projets qui s’alignent en termes de prix global sur le béton ou l’acier voire qui sont plus concurrentiels notamment sur des surélévations ou des chantiers en milieu contraint. La réduction du temps de chantier, et donc de leur coût, doit être également prise en compte dans le coût global. On peut même envisager qu’un jour, on parviendra à monétariser le montant de l’empreinte carbone. Dans ce cas, construire en biosourcés deviendra très compétitif.

Par ailleurs, le rôle des majors du BTP sera déterminant dans les années à venir. Aujourd’hui, ils font le plus souvent des alliances avec des charpentiers ou constructeurs bois. Ils amorcent également leur transition interne. Bouygues construction, qui a un service dédié au bois, vient d’adhérer à Francîlbois, Vinci a acquis Arbonis et Eiffage vient de racheter un charpentier. Les  autres entreprises de construction bois doivent également apprendre à se regrouper pour être compétitives et répondre à la massification de la commande. C’est donc en embarquant l’ensemble des acteurs de la filière à toutes les étapes de la chaine que l’on parviendra à changer de paradigme et de modes de faire.

Infos pratiques : « Etats généraux de la forêt et du bois en Île-de-France » à la Cité fertile, 14 rue Edouard Vaillant, Pantin (93). Lundi 13 janvier de 9h15 à 18h. Inscription gratuite et obligatoire ici. Accès : Gare de Pantin RER E et ligne P / Tramway T3b arrêt Ella Fitzgerald – Grands moulins de Pantin / Métro Hoche Ligne 5. Plus d’infos sur francilbois.fr

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