S'ils demeurent marginaux, les circuits courts alimentaires se positionnent néanmoins comme une alternative à la grande distribution et une manière de faire se rapprocher le champ et l'assiette. Chargée d'études à l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France, Laure de Biasi décrypte cette tendance qui constitue selon elle bien plus qu'une mode.
Laure de Biasi, chargée d’études à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France
Historiquement, les villes se sont établies sur les terres les plus fertiles pour pouvoir nourrir leur population. En grandissant, elles consomment donc paradoxalement leur propre hinterland nourricier. La population mondiale est désormais majoritairement urbaine et le sera encore plus demain. En effet, 54 % de la population vit aujourd’hui en ville, et 2,5 milliards supplémentaires d’urbains sont attendus à l’horizon 2050. Au fil du temps, les relations entre la ville et l’agriculture ont évolué, une double déconnexion s’est opérée. Les villes se sont détournées de leur hinterland nourricier, allant chercher des produits toujours plus loin, notamment grâce au développement des transports ferroviaires puis routiers frigorifiques. L’agriculture s’est progressivement détournée de la ville en se spécialisant et en répondant aux logiques de marché.
En parallèle, les questions climatiques, énergétiques, financières, environnementales sont de plus en plus prégnantes et parfois contradictoires. Dès lors, comment nourrir ces populations urbaines coupées de leur terre nourricière ? Comment garder ou retrouver le contrôle, quantitatif et qualitatif de notre approvisionnement alimentaire ? Comment faire évoluer notre système alimentaire ?
« Les premières Amap sont ainsi apparues au Japon dès les années 1970 »
Parmi les nombreuses démarches, celles basées sur la proximité ou les circuits courts se multiplient. Les systèmes de mise en relation des producteurs et des consommateurs, comme la vente à la ferme ou les marchés, ont, bien sûr, toujours existé. Mais ils suscitent aujourd’hui un véritable regain d’intérêt, et de nouvelles initiatives se développent. Ces approches ont d’abord connu un vif succès dans des métropoles particulièrement déconnectées de leur agriculture ou inquiètes pour leur alimentation.
Les premières Amap sont ainsi apparues au Japon dès les années 1970, sous le nom de Teikei, littéralement « mettre le visage du paysan sur les aliments ». Des expériences communautaires se sont aussi développées en Allemagne, en Suisse, en Autriche avant d’atteindre New York dans les années 1980, puis de retraverser l’Atlantique et d’atteindre la France dans les années 2002. Consommateurs, acteurs économiques, collectivités s’emparent désormais de ces sujets. L’Île-de-France ne fait pas exception : le Sdrif et son défi alimentaire, le Prad, la Stratégie régionale pour une agriculture durable et de proximité en Île-de-France (novembre 2014), le Plan Bio… montrent l’intérêt et les attentes relatives à ces questions. Entre plébiscite médiatique et réalité, regardons la place des filières courtes de proximité dans notre système alimentaire, leur diversité et les valeurs qu’elles portent, révélatrices des mutations en cours et de nouveaux rapports à l’alimentation.
Seulement 5.000 exploitations agricoles et 12 millions de bouches à nourrir
Nourrir les Franciliens, c’est s’appuyer sur un système organisé du mondial au local. L’approvisionnement de l’Île-de-France repose majoritairement sur les autres régions françaises, l’Europe et le monde malgré un potentiel agronomique exceptionnel et des cultures alimentaires de premier rang comme le blé, l’orge, le colza, la betterave sucrière ainsi que des cultures légumières, fruitières, et dans une moindre mesure, de l’élevage. Alors pourquoi ce paradoxe ? Deux raisons principales : la première repose sur la démesure entre la taille du bassin de consommation et le nombre d’agriculteurs. En moyenne, on compte une exploitation agricole pour 128 personnes en France, une pour 2.360 en Île-de-France et une pour 74.000 pour Paris et la petite couronne.
La forte diminution du nombre d’exploitations ne laisse rien présager de bon : les deux tiers des exploitations franciliennes ont ainsi disparu en 40 ans. La seconde raison est liée au manque de liens tissés entre les acteurs de la production, de la transformation, de la distribution et du transport au sein du système alimentaire francilien. Ces maillons ne font pas ou plus filières. Les logiques sont avant tout économiques et peu basées sur la proximité. En ce qui concerne la commercialisation des produits, la grande distribution domine. En France, 72 % des achats alimentaires se font en grandes surfaces, 15 % dans des magasins alimentaires spécialisés – boulangeries, boucheries… – et seulement 6 % sur les marchés ou directement auprès des producteurs. En Île-de-France, cette répartition se vérifie même si l’on fréquente un peu plus les petits commerces. Le marché de Rungis joue également un rôle clé dans l’approvisionnement francilien : les deux tiers de ses produits alimentent en effet la région, le reste partant en province et à l’international.
« En 2014, quatre Français sur dix déclaraient ainsi acheter souvent ou très souvent des produits locaux et six Français sur dix prévoyaient d’en augmenter la consommation dans les six prochains mois. »
Ainsi, bien que l’Île-de-France se situe au centre d’un riche bassin agricole contrairement à bien des métropoles (New York, Tokyo, Londres…), les quelque 5.000 exploitations franciliennes ne peuvent et ne pourront pas répondre aux besoins alimentaires de 12 millions de consommateurs, tant en quantité qu’en diversité. La production contribue faiblement à l’approvisionnement alimentaire des Franciliens, même si ce constat est à relativiser selon les filières. Si l’offre reste restreinte, la demande, elle, est de plus en plus forte. En 2014, quatre Français sur dix déclaraient ainsi acheter souvent ou très souvent des produits locaux et six Français sur dix prévoyaient d’en augmenter la consommation dans les six prochains mois.
Circuits courts, proximité, bio, de quoi parle-t-on ?
Les définitions se multiplient pour décrire les modes de commercialisation mettant en lien producteurs et consommateurs. Mais de quoi parle-t-on exactement ? On confond souvent jusqu’à en faire une sorte d’amalgame idéal « vert, équitable et local » circuits courts, produits de proximité et produits bio, leur attribuant pêle-mêle des vertus économiques, sociales et environnementales. Il s’agit pourtant de concepts bien distincts. Les circuits courts sont définis officiellement et renvoient à un nombre d’intermédiaires (zéro ou un) entre le producteur et le consommateur. Les produits locaux ou de proximité font référence à une distance et ne bénéficient pas de définition officielle. Les produits bio, signe officiel de qualité, renvoient à un cahier des charges encadrant un mode de production réglementé, basé sur la non-utilisation de produits chimiques de synthèse et d’OGM. Ainsi, les circuits courts ne sont pas tous de proximité et inversement. Les produits issus de circuits courts ou de proximité sont minoritairement bio même si une corrélation existe : parmi les 800 exploitations franciliennes pratiquant des circuits courts, 11 % sont bio et 90 % du volume produit en maraîchage bio est commercialisé en vente directe.
La notion de filières courtes de proximité intègre à la fois la proximité géographique et le faible nombre d’intermédiaires, en mettant en avant la notion de filières alimentaires et leur nécessaire (re)structuration. Elles englobent les pratiques mettant en lien producteurs et consommateurs franciliens, répondant ainsi au double enjeu de soutenir, valoriser l’agriculture francilienne et d’assurer un approvisionnement alimentaire durable, diversifié et de qualité.
Multiformes et innovantes, les filières courtes de proximité s’affirment
« Proximité et circuits courts sont devenus de véritables arguments marketing »
Développer les filières courtes de proximité : Pourquoi ? Comment ?
A lire : L’interview de Laure de Biasi dans Libération
Pour aller plus loin : « Une métropole à ma table, l’Île-de-France face aux défis alimentaires », un dossier à retrouver sur le site de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France
5 mai 2017