Société
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Mais au fond, que faut-il retenir de l’expérience des Grands Voisins ?

L'Orchestre impromptu aux Grands Voisins à Paris / © Orchestre impromptu
L’Orchestre impromptu aux Grands Voisins à Paris / © Orchestre impromptu

Que retirer de l'expérience de la friche des Grands Voisins, commencée en 2014 dans l'ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris avec les associations Aurore, Yes We Camp et Plateau urbain ? Alors que le terme est programmé pour 2020, une journée de réflexion était organisée en septembre dernier sur laquelle reviennent pour nous les étudiants du D.U. "Espaces communs" de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée.

Par Estelle Klima et Jade Bechtel, étudiantes du D.U. Espaces Communs à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Avec la contribution d’Arnaud Idelon, coordinateur de la formation

Le 26 septembre dernier, les acteurs de la friche des Grands Voisins à Paris (14e) ont décidé de prendre la parole ensemble depuis ce lieu qui amorce sa dernière saison (l’expérience prendra fin en septembre 2020) pour faire le point sur six années d’expérimentation urbaine entre les murs de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul. L’occasion aussi de comprendre comment les Grands Voisins sont vus depuis le dehors en donnant la parole à des usagers, des partenaires, des experts et des curieux sans taire les paradoxes, points de tension et controverses que, comme tout lieu hybride, les Grands Voisins ne manquent pas de soulever. La transition avec le futur écoquartier approche et l’occupation temporaire va prendre fin. S’il fut question d’aborder les enjeux et les impacts de cette expérience temporaire inédite, cette journée fut avant tout l’occasion de prendre de la hauteur et d’engager une réflexion après ces années passées dans l’effervescence du faire.

Un mois plus tôt jour pour jour, à l’initiative de la Ville de Paris, était signée la première “Charte en faveur du développement et de l’essaimage de l’urbanisme transitoire” réunissant pas moins de 19 acteurs publics et privés de l’immobilier francilien. Confirmant l’engouement pour l’urbanisme transitoire en Île-de-France, la charte prévoit la mise à disposition d’espaces vacants pour des projets d’intérêt général. En sous-texte, on lit bien l’influence des Grands Voisins, initiateur de cette jurisprudence nouvelle et de ce climat de confiance, ayant relevé le défi de l’hybridité des usages et de la cohabitation (parfois forcée) de publics divers. On comprend également que, pour les pouvoirs publics et les acteurs privés, les Grands Voisins ont vocation à faire modèle.

Au coeur de la journée du 26 septembre figurait plusieurs questions : comment cet ilôt des possibles en tissu urbain dense a-t-il contribué à faire évoluer le métier de travailleur social ? Que garder des Grands Voisins pour d’autres expérimentations, sur d’autres territoires ? Qu’est-ce qui, dans les Grands Voisins, va être remodelé, reformulé, questionné par le contexte ? Un coup d’oeil sur la revue de presse des Grands Voisins démontre l’intérêt que cette initiative a engendré. « Utopie » et « laboratoire du vivre ensemble » sont des éléments de langage que l’on retrouve d’une rédaction à l’autre, quitte à sonner creux à force.

Souvent cités en exemple, les Grands Voisins sont pourtant aux prises avec des tensions et des paradoxes. “Les Grands Voisins pompe à bière, machine à fric?” fut le titre de l’une des controverses de la journée du 26. Il n’y a pas de secret en la matière ; la bière, comme pour de nombreux lieux ouverts au public, est partie intégrante du modèle économique des Grands Voisins, carburant des premières prises de risque (les salaires des équipes pour faire tourner et animer le lieu) et vache à lait permettant,  avec la privatisation d’espaces, de financer des activités déficitaires (aménagement, signalétique, programmation culturelle gratuite) ainsi qu’une ribambelle de dispositifs “généreux” (repas suspendus, prix libres, possibilité de payer en tickets de métro, monnaie temps…).

A lire : La ville en commun, ça s’apprend

Bal aux Grands Voisins / © Les Grands Voisins
Bal aux Grands Voisins / © Les Grands Voisins

Un renouvellement de la fabrique de la ville

Mais alors, quel est l’impact réel des Grands Voisins sur le projet urbain ? D’un ancien hôpital à un écoquartier, quel a été l’effet de cette parenthèse de six ans d’expérimentation ? D’un urbanisme temporaire, les Grands Voisins ont évolué vers un urbanisme de transition préfigurant certains usages du quartier à venir, dont l’on trouve les traces dans la programmation actuelle de l’aménageur. Ainsi des petits commerces, des boutiques et un lieu culturel sont-ils désormais à l’ordre du jour, signe que les Grands Voisins ont laissé une empreinte sur ce petit bout de ville. L’impact des Grands Voisins est à trouver dans la manière dont le projet a pu bousculer les pratiques et les réflexes de la fabrique de la ville, souvent linéaire et standardisée à l’heure où la rapidité des mutations de nos sociétés ne cessent de participer à leur obsolescence.

Paris Métropole & Aménagement, l’aménageur du site, reconnaît la puissance de ces “nouveaux modes de faire” et les changements qui en ont résulté sur son “logiciel”, ses réflexes et ses postures. Paris Métropole & Aménagement a pris parti de prévoir des espaces publics « indéfinis », dont le programme sera détaillé ultérieurement et ce en fonction des futurs besoins qui pourront émerger de la vie du site. Les bâtis seront conservés et rénovés pour 60% , tranchant ainsi avec le systématique tabula rasa des projets urbains.

Si l’aménageur a fait évoluer la programmation du futur quartier, qu’en est-il de l’hébergement d’urgence, à l’origine même du projet ? Dès 2011, l’association Aurore a été le premier acteur à s’installer dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, hébergeant près de 600 personnes en situation de précarité lors de la première phase du projet d’occupation temporaire. Les 30 places qui devraient s’inscrire au sein du futur quartier relèvent de l’anecdotique et interrogent sur la continuité de la tradition d’accueil de ce lieu. Pour William Dufourcq néanmoins, directeur du centre d’hébergement d’urgence des Grands Voisins, l’héritage des Grands Voisins est à trouver dans les profondes modifications du métier de travailleur social. Travailler en coeur de ville, au milieu de publics divers et avec une grande pluralité d’acteurs, c’est le grand apprentissage des Grands Voisins. Pour Carine Petit, maire du 14ème arrondissement et qui plaide pour que soient multipliés les espaces communs en ville, « les Grands Voisins représentent une forme de maison commune, de place du village« .

Conclusion : au-delà du site de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, ces six années d’expérimentation auront fait bouger de nombreuses lignes. Et les secousses ne sont sans doute pas terminées.

Le D.U. “Espaces communs” est une initiative de Yes We Camp, en partenariat avec Ancoats, Codesign-It et l’Université Paris Est – Marne-la-Vallée et qui bénéficie du soutien du programme national French Impact. La formation vise à mettre en circulation les savoirs et les savoir-faire sédimentés au gré des expérimentations d’espaces communs.

Marché des créateurs aux Grands Voisins / © Les Grands Voisins
Marché des créateurs aux Grands Voisins / © Les Grands Voisins

A lire : « Les friches sont devenues le laboratoire de la ville »