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Paris est une des pires villes européennes en temps de canicule. Comment changer cela ?

Alors qu'un nouvel épisode caniculaire est annoncé pour la fin du mois d'août, des universitaires spécialistes du climat, de la biodiversité et de la géographie parisienne évoquent dans cette tribune la situation de Paris et du Grand Paris qui, selon une étude récente, font partie des villes d'Europe les plus fragiles en cas de fortes températures.

En compilant des données sur plus de 800 villes européennes, une récente étude scientifique a estimé que Paris était une des villes d’Europe les plus meurtrières en cas de canicule. Pour comprendre pourquoi, il faut se pencher sur la notion d’îlot de chaleur urbain (ICU). Un phénomène bien connu des météorologues et qui exacerbe l’augmentation locale des températures avec la multiplication des pics de chaleur en période estivale. Or toujours selon cette étude parue dans le Lancet Planetary Earth 90 % des Parisiens étaient exposés à un îlot de chaleur urbain de forte intensité (entre 3 et 6 °C de différence) et 10 % à un îlot de chaleur urbain de très forte intensité (plus de 6 °C de différence) en 2021.

Si aujourd’hui protéger des pics de chaleur les habitats des villes est devenu un enjeu de santé publique et d’environnement, ces enjeux ont rarement préoccupé les partisans du développement urbain aux siècles passés. Les villes ont d’abord été construites pour protéger leurs habitants avant d’intégrer des objectifs hygiénistes. Plus récemment, le pétrole bon marché et la voiture individuelle ont favorisé la mise en place de politiques familiales et d’aménagement facilitant l’étalement urbain.

À Paris, on qualifie de canicule un épisode d’au moins 3 jours consécutifs où les températures maximales dépassent 31 °C et les températures minimales 21 °C. Celle de 2003 a constitué un évènement extrême qui a suscité une prise de conscience européenne, vu son ampleur géographique et son impact sanitaire. Depuis, les canicules se succèdent et vont encore s’amplifier d’ici à 2050, sans réelle mise en débat politique des modèles d’urbanisation sauf exception.

Les vagues de chaleur représentent pourtant un danger direct pour la santé des populations, et affectent particulièrement des quartiers déjà vulnérables. Tâchons donc de comprendre d’abord pourquoi l’effet d’îlot de chaleur urbain est particulièrement néfaste en Île-de-France, avant de voir comment nous pourrions y remédier.

Les tours choux de Créteil. Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris

L’îlot de chaleur urbain

Toutes les surfaces artificielles génèrent de la chaleur en excédent, la température moyenne en ville étant supérieure de quelques dixièmes de degrés (bourg de petite taille) à plusieurs degrés (métropole) par rapport à celle de la campagne environnante. Par exemple, un écart de 4 °C a été observé entre le centre de Paris et les bois périphériques lors de la canicule de 2003. Pour comprendre pourquoi, plusieurs facteurs sont à prendre en compte. 

L’ effet de l’îlot de chaleur urbain augmente avec :

  • La chaleur due aux activités humaines (combustion, climatiseurs, chauffage, serveurs…).

  • La nature et la couleur des matériaux : béton, asphalte, tuiles et autres matériaux minéraux et synthétiques sombres qui absorbent l’énergie solaire le jour, et la réémettent la nuit (rayonnement thermique).

  • La hauteur et l’espacement entre les bâtiments : une forte densité de bâti piège l’air chaud et limite le refroidissement des surfaces et des murs. Les immeubles de haute taille et les extensions horizontales de la métropole provoquent un ralentissement aérodynamique, limitant l’évacuation de la chaleur.

À l’inverse, les facteurs d’atténuation sont :

  • Les sols naturels, la végétation et l’eau : un sol constitué de gravillons contient des poches d’air (isolantes), qui limitent l’absorption de chaleur et sa couleur claire réfléchit le rayonnement solaire. L’eau a, elle, un fort pouvoir rafraichissant, grâce à l’évaporation en surface. La végétation en bonne santé joue le même rôle, par sa transpiration. Elle peut se développer dans tous les interstices du bâti, plus facilement et durablement que des nappes d’eau.

  • L’ombre : les sols ombragés par les bâtiments riverains, des ombrières (structures destinées à fournir de l’ombre) ou par des arbres de haute taille accumulent moins de chaleur.

  • Les sols, murs et toits clairs réfléchissant la lumière du soleil. Ils emmagasinent donc moins de rayonnement que les matériaux sombres. En revanche, la réflexion du soleil peut aggraver la chaleur de l’air à proximité de la surface dans la journée.

  • Localement, les surfaces chaudes provoquent une dépression atmosphérique, qui favorise la circulation de l’air venant des périphéries plus fraîches (brise thermique nocturne.

De même, le relief favorise pendant la nuit la circulation de l’air vers le bas des pentes. 

Berges de la Marne à Saint-Maur-des-Fossés. Jéromine Derigny pour Enlarge your Paris

Les différents paramètres énoncés ci-dessus font que la Métropole du Grand Paris (MGP) présente un très fort îlot de chaleur urbain. Le tissu urbain continu autour de Paris intra muros aggrave encore plus cette situation. Dans les quartiers périphériques où habitent les ménages les plus modestes, le bâti est mêlé à des zones industrielles et commerciales, et les températures diurnes atteignent des valeurs extrêmes dues à des revêtements imperméables et sombres prépondérants

Au contraire, à l’ouest de Paris et dans la boucle de la Marne où vivent les ménages les plus aisés, les températures sont moindres, soit proches de la moyenne, soit plus fraîches, du fait de l’extension de zones pavillonnaires avec jardins, souvent situées à proximité de grands espaces verts. La circulation de l’air y est également favorisée par les couloirs de fraîcheur rentrant dans la ville (air le long de la vallée de la Seine, ou venant des forêts proches sur les plateaux au Sud-Ouest). Inversement, la circulation de l’air est freinée dans le cœur de ville, dans les quartiers nord et de proches banlieues denses, par la minéralité et la hauteur des bâtiments (dont beaucoup d’immeubles sur dalle).

Marianne Cohen, Professeure des universités en Géographie, Sorbonne Université. Laurence Eymard, Directrice de recherche CNRS émérite, chercheuse dans le domaine du climat et de l’environnement, Sorbonne Université. Romain Courault, Maître de conférences en Géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Serge Muller, Professeur émérite, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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