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Les lisières du Grand Paris vues par l’écrivain-voyageur Guy-Pierre Chomette

Randonnée du Grand Paris Express piéton à Chelles en Seine-et-Marne / © Jérômine Derigny pour Enlarge your Paris

En 2014, l'écrivain-voyageur Guy-Pierre Chomette marchait le long des lignes du futur métro du Grand Paris Express pour partir à la découverte de la métropole en devenir et en tirer l'ouvrage "Le piéton du Grand Paris". Il viendra témoigner de cette aventure lors de la conférence "Les Piétons du Grand Paris" organisée par Enlarge your Paris et la Société du Grand Paris le 23 octobre à la Maison de l'architecture à Paris.

Comment l’idée du livre Le Piéton du Grand Paris vous est-elle venue ?

Guy-Pierre Chomette : A partir de 2010, le projet du Grand Paris a commencé à devenir une réalité et à faire les gros titres dans les journaux. Des cartes des futures lignes du Grand Paris Express étaient publiées. Avec le photographe Valerio Vincenzo, elles nous ont donné envie de voyager, d’aller arpenter ces territoires proches de chez nous mais que nous ne connaissions pas vraiment, ou en tous cas pas dans leur ensemble. Or, le futur métro redessine la carte de l’agglomération parisienne. Une métropole est en train de naître sous nos yeux. Nous avons eu envie d’aller à sa rencontre. Les lignes circulaires du Grand Paris Express, qui sont les plus éloignées du centre de Paris, nous sont apparues comme un bel itinéraire. Pour comprendre cette ville en devenir et les enjeux de société qui s’y rattachent, il nous a semblé que la marche était le meilleur des moyens de transport, celui dont la lenteur est aussi promesse de belles surprises, de beaux détours, de belles rencontres.

Comment avez-vous récolté les informations tout au long de votre périple ?

Avec un stylo et un carnet de note. Enfin plusieurs ! Nous avons marché 30 jours dans le Grand Paris, en partant de Roissy (Val-d’Oise) et en revenant à Roissy. J’avais également avec moi un dictaphone pour les entretiens les plus longs et les plus compliqués lorsqu’il s’agissait par exemple d’un urbaniste, d’un ingénieur aéronautique chargé de réduire le bruit des avions, d’un gendarme spécialiste de l’histoire du plateau de Satory (Yvelines) ou encore d’un agriculteur du plateau de Saclay (Essonne / Yvelines) militant pour l’enfouissement du Grand Paris Express entre Palaiseau et Saint-Quentin-en-Yvelines. Au final, le texte est un récit de voyage avec ses surprises, ses rencontres, ses aléas, ses digressions, ses impasses, ses mauvais et ses bons jours. 

Quel était le sens profond de cette marche ?

Dans son livre Paris Métropole, formes et échelles du Grand-Paris, paru en 2008, l’urbaniste Philippe Panerai explique « qu’une extension urbaine sans précédent défie nos repères. La distance au centre, régie pendant des siècles par la règle implicite de ne pas excéder une heure de marche, soit 5 km, est largement dépassée ; du coup, la forme de la ville autrefois compacte et généralement limitée nous échappe. Son dessin n’est plus mémorisable, ses limites sont incertaines, son identité est en cause. » Dans ce contexte, seule la marche est à même de révéler l’espace dilaté du Grand Paris. C’est une expérience sensorielle qui nous fait pénétrer la magie des espaces comme aucun autre moyen de transport. Quelles que soient ses dimensions, la spatialité d’un lieu est nécessairement déformée par la vitesse, et seul le rythme de l’arpenteur peut redonner sa juste forme à l’espace traversé. La marche permet de regarder, de distinguer les bruits de la métropole, de sentir ses odeurs, de ressentir avec ses pieds les mille reliefs et texture de ses sols. « Tout grand paysage est une invitation à le posséder par la marche », disait l’écrivain Julien Gracq.

Les paysages du Grand Paris existent-ils ?

Les paysages du Grand Paris existent bien. De la terrasse de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) à celle de Meudon (Hauts-de-Seine), des hauteurs de Villejuif (Val-de-Marne) à celles de Champigny (Val-de-Marne), le Grand Paris lui-même est un paysage. Sur la butte du moulin d’Orgemont, à Argenteuil (Val-d’Oise), la tour Eiffel trempe ses pieds dans les darses du port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). En descendant l’allée Maurice Audin, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), les tours de La Défense, pourtant à 25 kilomètres, semblent à portée de main. Sur le Triangle de Gonesse (Val-d’Oise), la platitude du paysage permet d’apercevoir le skyline de la métropole parisienne : la tour hertzienne de Romainville (Saine-Saint-Denis), les immeubles de la place des Fêtes à Belleville, le Sacré-Cœur, la tour Pleyel à Saint-Denis, Montparnasse, La Défense… Les panoramas sur le Grand Paris sont trop rares pour en faire l’impasse. A Champigny, j’ai espéré trouver au sommet du belvédère du parc du Plateau une table d’orientation qui m’aurait été à lire dans le paysage, à déchiffrer telle proéminence, à mettre un nom sur tel édifice, à repérer le bois de Vincennes ou à démêler la Marne de la Seine, bref à me situer dans la métropole, à l’échelle 1 :1. Au lieu de cela, je suis tombé sur une jolie sculpture métallique, un plan-relief allégorique, partiel, affranchi des codes cartographiques classiques. L’occasion est ici manquée de donner aux promeneurs du plateau de la Brie les clés de lecture du Grand Paris, les outils pour mieux le voir, le jauger, le comprendre. 

A lire : Huit belvédères incontournables pour s’offrir un panorama sur le Grand Paris

La butte d'Orgemont à Argenteuil / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris
La butte d’Orgemont à Argenteuil / © Steve Stillman pour Enlarge your Paris

Avez-vous vu les frontières du Grand Paris ?

En arpentant les marges de la métropole à une distance d’environ 20 kilomètres de Notre-Dame, il est parfois difficile d’appréhender les frontières du Grand Paris. Elles se dessinent pourtant là où on les attend le moins : dans le ciel. En quittant Roissy à pied pour une grande circumnavigation périurbaine dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, le ballet incessant des avions de ligne vous accompagne pendant des heures. Cependant, quand vient le moment d’infléchir sa course vers le sud en visant les tours de la Défense, la taille des avions roisséens diminuent. Du côté de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), ils disparaissent complètement. D’autres vont bientôt prendre la relève. Sur les collines de la forêt domaniale de la Malmaison, où de vastes clairières trouent la couverture des arbres, on peut distinguer les appareils à l’approche d’Orly (Val-de-Marne). Quand arrivent les plateaux de Satory et de Saclay, les avions orlysiens s’incrustent dans le paysage et n’en sortiront qu’une fois atteint Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), peu à peu remplacés par le retour des roisséens dans le ciel du Grand Paris. Ainsi se matérialisent dans l’azur les lisières de la métropole, à coups de couloirs aériens qui dessinent sur nos têtes l’une des plus étranges représentions des frontières du Grand Paris.

Pourquoi marchez-vous ?

Je ne marche pas pour marcher. A vrai dire, je préfère cent fois le vélo ! Mais sans mauvais jeu de mots, notre démarche n’est pas compatible avec les autres moyens de transport. Que ce soit pour le rédacteur ou le photographe, le temps passé à arpenter le territoire est un outil précieux. On a souvent l’impression de perdre son temps, l’envie de prendre un bus pour aller plus vite et se rendre directement à tel endroit. En réalité, tout ce temps perdu finit par tourner à notre avantage : plus de rencontres, plus de belles lumières, plus de découvertes, plus de coins perdus apparemment insignifiants mais qui traduisent des choix urbains, des choix de société passionnants à décrypter. Je pense par exemple aux délaissés des projets autoroutiers jamais réalisés, ces zones vides que vous pouvez trouver en plein cœur d’une ville, comme à Aulnay ou à Clichy-sous-Bois, qui brisent le tissu urbain mais qui restent intouchables car nous sommes encore trop attachés à la voiture. Pour en revenir à la marche, c’est l’imprévu qu’elle autorise qui m’intéresse.

Pouvez-vous nous parler de la marche que vous venez d’achever à Nantes ?

J’ai déménagé à Nantes juste après la parution du Piéton du Grand Paris en 2014. Je ne connaissais rien de la Loire Atlantique, et j’ai cherché un itinéraire pour l’arpenter avec la même démarche. J’ai rencontré un photographe nantais, Franck Tomps, intéressé par cette idée. Nous avons parcouru les rives de l’estuaire de la Loire, de Nantes à Saint-Nazaire, rive nord et rive sud. Ces deux villes ne sont pas très éloignées, mais avec tous nos détours nous avons marché près de 300 km ! L’estuaire de la Loire est un territoire paradoxal : il est à la fois bien documenté et encore largement méconnu. C’est notamment dû au fait que la Loire elle-même est très souvent inaccessible, invisible, cachée derrière d’immenses marais et roselières. C’est bien sûr un territoire très différent du Grand Paris. Outre Nantes et Saint-Nazaire, notre parcours nous a valu de longues marches dans des zones naturelles peu fréquentées, sans oublier un long passage sur l’embouchure elle-même et la façade maritime. Un régal ! 

DES RIVES – Voyage dans l’estuaire de la Loire, de Guy-Pierre Chomette. Editions 303. 22€. L’ouvrage Le Piéton du Grand Paris n’est plus édité. Guy-Pierre Chomette interviendra le 23 octobre lors de la conférence « Les Piétons du Grand Paris. Regards croisés sur la marche urbaine » organisée par Enlarge your Paris et la Société du Grand Paris à la Maison de l’Architecture en Île-de-France, 148 rue du Faubourg Saint-Martin, Paris (10e). De 19h à 21h. Gratuit. Inscription obligatoire sur eventbrite.fr. Programme à retrouver ici

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