A quels genres d’initiatives vous êtes-vous intéressé ?
Nicolas Laruelle : Je me suis intéressé à tout ce qui tend à modifier concrètement la ville en me concentrant sur trois enjeux majeurs pour l’Île-de-France et qui représentent des chocs externes auxquels il nous faut nous adapter : le changement climatique, la transformation énergétique et et la transformation économique. On ne se préoccupe pas encore sérieusement du réchauffement climatique et de la pénurie des ressources. Quant à la transition économique, elle devient essentielle pour ne pas s’exclure de la compétition mondiale. J’ai effectué cette recherche comme une chasse au trésor, parcourant les villes et les campagnes à vélo le dimanche souvent avec mon fils. Ces hauts lieux de la transition attestent déjà du visage de la ville de demain, du pouvoir d’action des citoyens, et sont un formidable outil pédagogique.
Quelle méthode avez-vous suivi pour recenser les différentes initiatives présentées ?
J’ai commencé par analyser les atouts, les faiblesses, les opportunités et les menaces des territoires. En croisant les données de nos études précédentes, il est apparu que tous les territoires franciliens étaient vulnérables sur de nombreuses thématiques liées à la transition. Certaines cartes étaient même plutôt affolantes, montrant par exemple des îlots de chaleur urbains dans des quartiers vulnérables car très bitumés. Il n’était pas envisageable d’exposer froidement ces constats aux élus sans rendre compte en même temps des multiples initiatives locales existantes pour contrer ces phénomènes. Afin de s’adapter aux bouleversements futurs que nous ne pourrons éviter, il s’agit de miser sur l’innovation et la préservation des savoir-faire locaux. Des ateliers Hermès installés à Pantin depuis 1992 aux productions maraîchères qui entourent la capitale, nombreux sont les laboratoires franciliens qu’il convient de mettre en avant.
C’est ce que vous avez fait avec votre carte des hauts lieux de la transition…
Avec ma collègue géomaticienne Cécile Mauclair, nous avons créé une carte interactive afin de mieux localiser toutes ces initiatives remarquables (au nombre d’un millier aujourd’hui en Île-de-France) en réutilisant parfois des recensements effectués pour nos études précédentes telles que celles sur les tiers lieux, l’urbanisme transitoire ou les cités-jardins. Nous les avons mises en scène à travers ce que nous nous avons appelé les « hauts lieux de la transition », des carrés d’un kilomètre de côté qui regroupe chacun entre dix et trente initiatives. En tant que chercheurs, on réalise régulièrement des études de recensement de ce genre mais avec un procédé plus technologique, plus neutre. Là, c’est presque de la poésie urbaine. Pour le moment, la carte détaille une douzaine de ces hauts lieux de la transition. On jongle d’un projet micro-local porté par des habitants à une entreprise au rayonnement mondial. Il est d’ailleurs passionnant d’observer comme des projets très divers peuvent se compléter et parfois même s’entraider.
A lire : La Conquête du pain, la boulangerie qui ne cherche pas à faire du blé à tous prix
Quels sont les lieux qui vous semblent les plus représentatifs des transitions en cours ?
Chaque territoire a sa spécificité propre et ne laisse pas toujours soupçonner tout ce qu’il s’y passe. Au coeur d’Arcueil (Val-de-Marne) par exemple, il existe une concentration de 25 projets-démonstrateurs de la transition : l’école “zéro énergie” Olympe de Gouges, la Maison de l’environnement, une ressourcerie associative, des jardins partagés qui s’inscrivent dans la démarche “Arcueil Ville Comestible”… A Saint-Cyr (Yvelines) aussi les initiatives environnementales sont très variées. On y trouve le démonstrateur d’agriculture urbaine de l’association Le Vivant et la Ville ainsi que la plateforme de traitement des déchets verts Bio Yvelines Services. Pour rendre compte de cette ébullition, nous avons également conçu une exposition photo réalisée par les élèves de l’Ecole d’urbanisme de Paris et qui se tient en ce moment dans le hall de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (15e) ainsi que sur le campus de la Cité Descartes (Seine-et-Marne).
Quel est le sens de ce recensement ?
Cette étude rend compte de l’existant sans jugement de valeur. On ne vend pas la nécessité de la transition ou l’idéologie du monde de demain. C’est un recensement de chercheurs. Les courtes présentations de chaque lieu et chaque initiative sont essentiellement informatives. Nous renvoyons aussi parfois vers des articles d’Enlarge your Paris ou de 94 Citoyens pour que le lecteur accèdent à des récits d’expériences et des portraits d’innovateurs. On invite par ailleurs chacun à nous faire part de ses suggestions via un lien présent sous chaque fiche de présentation. D’ici à six mois, la carte sera complétée d’au moins huit nouveaux hauts lieux.
Retrouvez les hauts lieux de la transition sur le site de l’Institut Paris Région
Lire aussi : « Les friches sont devenues le laboratoire des villes »
18 avril 2018