C’est quoi le rôle d’un théâtre ? Marie-José Malis (directrice du théâtre de la Commune, Ndlr) en parle comme d’un lieu où « constituer notre pensée pour un nouveau monde »…
Frédéric Sacard : Le théâtre doit en effet participer à faire sentir comment le monde pourrait être autrement. C’est ce qui nous a guidé lorsque nous sommes arrivés à Aubervilliers avec Marie-José Malis. Nous ne voulions pas d’un projet hors-sol. Nous ne voulions pas être juste une scène qui accueille des spectacles en tournée. Car à l’image de la World Music, qui témoigne d’un formatage de la musique, il existe aujourd’hui un World Théâtre avec des compagnies que l’on retrouve partout. La question c’est : est-ce qu’on fait du théâtre de la même façon lorsqu’on est à Aubervilliers, à Nice ou à Reims ? Nous pensons que non, même si le théâtre est quelque chose d’universel. Les grandes avancées du théâtre, on les doit à des artistes qui s’adressaient à un public spécifique comme lorsque Brecht, alors en exil du fait de l’arrivée au pouvoir des Nazis, s’adressait à la société allemande. L’autre point qui nous semble primordial est que l’avenir du théâtre appartient à ceux qui n’y vont pas. Cette vérité nous a été soufflée par Gabriel Garran, l’ancien metteur en scène du théâtre de la Commune. Dans une ville comme Aubervilliers où la grande majorité des habitants n’est jamais allée au théâtre, cela prend tout son sens.
Comment faire pour toucher un public qui ne se cantonne pas aux initiés ?
Une façon de toucher un public plus large est de mettre en place des dispositifs de médiation. A cela nous avons dit non car c’est un schéma que nous jugeons trop paternaliste. Si les gens ne viennent pas au théâtre, ils ont de bonnes raisons de ne pas le faire car le théâtre ne s’adresse pas à eux. Pour y remédier, nous avons préféré faire émerger un dialogue entre les artistes et le public afin d’inventer de nouvelles formes théâtrales. Nous avons ainsi renoué avec le théâtre comme agora. Je gardais le souvenir d’un colloque où quelqu’un du Royal Court de Londres avait souligné les lourdeurs de la production artistique en France où il faut deux ans pour monter un spectacle quand il ne faut que quatre mois en Grande-Bretagne. Ceci rend impossible le traitement de sujets d’actualité. Or c’est ce que nous avons voulu faire en créant les Pièces d’actualité.
Quel est le principe de ces pièces ?
C’est un laboratoire pour expérimenter de nouvelles formes. On dit aux artistes de tenter des trucs qu’ils ne pourraient pas s’autoriser dans une production habituelle. Nous les avons lancées en 2015 et nous en sommes à 15 aujourd’hui. Elles sont entièrement prises en charge financièrement par le théâtre. A chaque fois, il y a trois semaines de répétition maximum, pas plus de trois professionnels et la possibilité de recourir à des amateurs. Enfin, l’artiste doit impérativement s’inspirer de la vie des gens. Le metteur en scène Rodrigo García a par exemple choisi de monter Hamlet dans un kebab du quartier des 4 chemins à Aubervilliers en considérant que les clients des kebabs n’avaient pas forcément le réflexe d’aller au théâtre. La chorégraphe Maguy Marin, dont la mère est une exilée espagnole, a quant à elle mis en scène une pièce dans une enclave de la ville qui appartient à l’Etat espagnol. C’était au moment de la crise financière de 2008 et elle a notamment travaillé avec de jeunes immigrés espagnols venus en France pour trouver un emploi. Enfin Olivier Coulon-Jabonka s’est pour sa part intéressé au sort des réfugiés. En arpentant la ville, il est tombé sur un squat de sans-papiers au 81 avenue Victor Hugo. Avec 8 d’entre eux, il a créé 81 avenue Victor Hugo qui raconte leur parcours. Cette pièce a été une grande aventure politique. Elle a été très médiatisée et a abouti à la régularisation de la quasi totalité des occupants du squat. C’est un spectacle qui a ensuite été programmé au festival d’Avignon et qui a donné lieu à une tournée.
Dans le même esprit que les Pièces d’actualité, vous avez également créé l’Ecole des actes…
Après les attentats de 2015 à Paris et à Saint-Denis, on s’est dit qu’on allait fonder un lieu qui n’existait pas afin de faire se rencontrer trois groupes de personnes qui coexistent sans se rencontrer : la jeunesse populaire d’Aubervilliers, la jeunesse artistique et intellectuelle et les migrants. L’objectif : penser ensemble l’époque. C’est comme ça qu’est née l’Ecole des actes. Cette année, du 21 mars au 1er avril, le Laboratoire pour des Acteurs Nouveaux, la troupe constituée au sein de l’école, jouera d’ailleurs sa première pièce, Shakespeare est mort, Molière est mort, Racine est mort et je vous avoue que, fort heureusement, je ne me sens pas très bien non plus (titre provisoire).
L’urbanisme est un sujet qui irrigue la programmation 2019-2020 du théâtre de la Commune. Pourquoi l’avoir choisi ?
La question de l’urbanisme nous intéresse car depuis plusieurs années nous portons le projet d’un nouveau théâtre à Aubervilliers qui serait adossé à un foyer de demandeurs d’asile. Il est essentiel de ne pas être dans le déni face à cette question structurelle. Sinon on sera toujours pris à défaut. Ce serait intéressant qu’une ville comme Aubervilliers fasse émerger cette nouvelle façon de concevoir le théâtre.
Retrouvez toute la programmation 2019-2020 du théâtre de la Commune sur lacommune-aubervilliers.fr
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4 septembre 2019 - Aubervilliers