Isabelle Zugetta, de l’Institut Paris Region
La crise des maires n’est pas nouvelle. Depuis l’époque médiévale jusqu’à nos jours, cette fonction a fait couler beaucoup d’encre. Déjà en 1550, Henri III cherchait à mettre en place des fonctionnaires dans les communes rurales car, cette fonction étant gratuite, il y avait très peu de candidats. Le sujet est revenu sur le devant de la scène en 2018 avec certaines démissions qui ont fait grand bruit. Ce fut notamment le cas en mars 2018 avec Stéphane Gatignon, maire de Sevran en Seine-Saint-Denis, dénonçant le « mépris de l’État pour les banlieues ». Maire depuis 2001, il avait réalisé une grève de la faim en novembre 2012 afin de faire réagir le gouvernement sur l’état des finances de sa commune et obtenir une aide financière plus importante pour les territoires les plus défavorisés. Quelques mois plus tard, à l’été 2018, une enquête de l’AFP, largement reprise par la presse nationale, parle d’une « vague inédite de démissions » liée à « l’usure des maires » et lance véritablement le débat. Mais quelle est la réalité des chiffres en France et surtout en Île-de-France, région si singulière ?
L’Île-de-France particulièrement touchée par la démission de ses maires
Depuis les élections municipales en 2014 et jusqu’en 2018, 1 021 maires auraient quitté leur fonction, soit 8,2 % de l’effectif national, une hausse spectaculaire de plus de 30 % par rapport à la précédente mandature. En Île-de-France, de 2014 à 2019, ce sont 188 communes qui ont prématurément changé de maires sur les 1 288 communes que compte la région (y compris les arrondissements de Paris), soit 14,6 %. Le mouvement semble donc encore plus marqué dans la région capitale !
Mais les raisons de ces démissions sont difficiles à approcher. En octobre 2018, la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale a lancé une mission d’information sur ce sujet. Dans ce cadre, les députés Valérie Lacroute (LR, Seine-et-Marne) et Catherine Kamowski (LaREM, Isère) ont souligné que le répertoire national des élus ne mentionne pas la raison du changement. Constat qui les a d’ailleurs amenées à proposer que ce répertoire évolue par l’obligation faite aux maires de donner les motivations de leur démission. Après plusieurs relances, ces députés ont pu obtenir une réponse du ministère de l’Intérieur d’où il ressort, en conclusion de la synthèse des préfets, « qu’environ la moitié des cessations de fonction de maire depuis le renouvellement de 2014 relève des causes qui ont pour trait commun d’être (plus ou moins) contraintes par des facteurs exogènes : décès, démission d’office [en cas d’annulation de l’élection par le juge ou de condamnation judiciaire] fusion de commune, non-cumul de mandat. »
Le calcul réalisé pour l’Île-de-France à partir de la presse et des délibérations municipales révèle une proportion un peu différente. Les changements « contraints » représenteraient 38 % du total, dont 22 % en application de la règle sur le cumul de mandats, 14 % par des décès et 2 % par des annulations d’élections. Mais 10 % des raisons de cessation de mandat ne sont pas renseignées, ce qui introduit un biais important. La proportion des départs « volontaires » est finalement comparable avec la situation nationale puisque les démissions représenteraient 52 % des changements en Île-de-France. Dans ce chiffre sont comptabilisées les démissions des maires mais également celles des conseils municipaux qui obligent, de fait, les maires à mettre un terme à leur mandat.
Démissions : une réalité plus forte dans les zones urbaines que dans les territoires ruraux ?
Mais quelles sont les raisons de ces démissions nombreuses ? L’approche territorialisée suggère de nouvelles pistes. La carte ci-dessous montre que les retraits ne sont pas plus importants, au contraire, dans les territoires périurbains et ruraux où les communes sont moins peuplées et les moyens plus limités que dans le cœur métropolitain de l’Île-de-France. On compte ainsi 98 démissions sur la totalité de l’Île-de-France : 18 % sur la Métropole du Grand Paris (qui représente 12 % des communes d’Île-de-France), 42 % dans l’agglomération parisienne (30 % des communes) et 40 % sur les territoires périurbains et ruraux (58 % des communes). La crise des vocations apparaît, finalement, comme plus aiguë dans le cœur métropolitain.
La « crise » des maires prend des formes particulières en Île-de-France et bat en brèche certaines idées reçues. Les communes y sont plus urbaines et les maires relativement plus jeunes que dans le reste de la France. Pourtant les départs sont plus nombreux. Peut-être est-ce à relier à une autre réalité, largement passée sous silence dans les débats de l’année qui vient de s’écouler. Comme l’a montré le bilan de la réforme territoriale réalisé pour le Forum métropolitain du Grand Paris, c’est dans le cœur de l’agglomération parisienne que les baisses de moyens alloués par l’État ont été proportionnellement les plus importantes.
Ici comme ailleurs en France, il est tout de même rassurant de constater qu’il n’y a aucune mairie sans maire, selon la réponse apportée par le ministère de l’Intérieur dans le cadre du rapport parlementaire évoqué précédemment. Le projet de loi « engagement et proximité », en cours de discussion, apporte une réponse en termes d’augmentation des indemnités pour les édiles … mais pris sur les budgets communaux. La dernière enquête de l’AMF-CEVIPOF/Sciences Po décèle un mouvement plus fort qu’escompté de maires souhaitant se représenter. Les candidatures aux élections 2020 fourniront un panorama plus précis, que l’on ne manquera pas d’observer.
A lire : « Valdoisiens, sommes-nous les relégués du Grand Paris ? »
24 novembre 2019