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« Un potentiel rugby inexploité dans les banlieues »

Natif de Sarcelles, Rabah Slimani s’apprête à jouer sa première Coupe du monde de rugby. Le pilier du Stade Français nous raconte son parcours, du Val-d’Oise jusqu’à Twickenham, où le XV de France rencontre l’Italie samedi pour son premier match de la compétition.

Rabah Slimani / © Rémi Belot

 

De Sarcelles, dans le Val-d’Oise, à Marcoussis, dans l’Essonne : plus de 50 kilomètres, où l’on passe du décor urbain de la cité du Val-d’Oise au cadre champêtre du Centre national du rugby. Deux lieux, deux ambiances : mais dans l’un comme dans l’autre, Rabah Slimani semble avoir trouvé sa place. Le joueur du Stade Français a ainsi pris ses quartiers au sein de la « Résidence du XV de France », le lieu de villégiature de l’équipe nationale. International tricolore depuis deux ans maintenant, il fait partie du groupe de 30 joueurs retenus par Philippe Saint-André pour la coupe du monde de rugby. Une grande première pour le Sarcellois, qui, à 25 ans, n’avait goûté jusqu’ici qu’aux joies du Tournoi des VI Nations. Rencontre.

 

Quand on parle de sport en banlieue, on pense foot ou peut-être basket : comment êtes-vous arrivé au rugby ?

Rabah Slimani : Pour tout dire, c’est le fruit du hasard. J’avais commencé par jouer au foot, comme tous les gamins, sans jamais pour autant évoluer en club. J’ai aussi fait un peu de basket, mais c’est surtout le judo avec lequel j’ai d’abord vraiment accroché. Et puis un jour, la mairie de Sarcelles a organisé un tournoi des écoles, chacune pouvait présenter son équipe pour participer à une compétition de fin d’année. J’étais en CE1 ou CE2, et je m’y suis mis comme ça. Lors de ma dernière année au primaire, le club de Sarcelles m’a repéré, et m’a proposé de me tester lors d’un tournoi où je pouvais jouer sans avoir de licence. Mon petit frère était là aussi [1] : on s’est inscrit l’année d’après.

 Dans le monde du rugby, on peine à trouver des modèles qui viennent de banlieue…

Oui, il manque des modèles, clairement : dans le foot, beaucoup de jeunes ont pu s’identifier à Henry ou Anelka, par exemple. C’est important d’avoir un modèle. J’ai connu beaucoup de jeunes très talentueux qui ont fait les sélections avec moi mais qui se disaient : « Jamais je ne réussirai ». Pour ça, il faut de l’envie et de la détermination, certains ont besoin d’un coup de pouce.

 Comment expliquer cette absence d’idoles issues des quartiers ?

Le foot prend beaucoup de place dans les banlieues. Quand il faut construire des installations sportives, on commence souvent par un terrain de foot. Il y a peu de publicité autour du rugby, mais les talents sont là, pourtant. Des jeunes arrivent : Judicaël Cancoriet, par exemple, qui commence à percer à Clermont. Ou Sekou Macalou, qui a signé en fin de saison dernière avec nous au Stade Français. Tous les deux jouaient récemment à Massy en Fédérale 1 [2], et ils viennent comme moi de Sarcelles. C’est la preuve qu’il y a là un bon vivier, mais que le potentiel reste encore inexploité dans les banlieues.

  Centre national du rugby de Marcoussis  / © Rémi Belot

 

Comment pourrait-on changer cela ?

Les mairies doivent jouer leur rôle, monter des partenariats avec les clubs. C’est comme ça que j’ai commencé à Sarcelles. Les jeunes ne vont pas d’eux même au rugby. Il faut un déclencheur. Et puis il y a tout de même Massy et Bobigny : il faut s’appuyer sur ces clubs banlieusards, imaginer des projets avec eux pour attirer les jeunes vers le rugby. Et valoriser la nouvelle génération qui arrive. Les choses peuvent évoluer positivement dans les années à venir.

 

  « On m’a fait comprendre qu’il fallait que j’oublie le poste de numéro 8 pour passer pilier ! Mais j’étais un peu têtu, je voulais insister !»

 

 Comment devient-on pilier au Stade Français ?

Cela a été un long parcours ! Quand on commence il n’y a pas trop de postes : j’ai été baladé un peu partout, j’ai joué derrière, j’ai joué 10, j’ai buté, j’ai lancé. Et j’ai longtemps joué numéro 8 avec les sélections du Val d’Oise puis en pré-sélection d’Île-de-France. Arrivé à un certain niveau, on m’a fait comprendre qu’il fallait que j’oublie ce poste pour passer pilier. Mais j’étais un peu têtu, je voulais insister ! (rires) Finalement, c’est en tant que pilier que je me suis fixé. C’était un mal pour un bien d’avoir changé, parce que c’est à ce poste que j’ai été retenu par le Stade Français et que j’ai commencé ma carrière pro.

 

 

Le XV de France, c’est un rêve pour tout sportif de haut niveau. Pour vous, l’aventure a commencé de façon assez exceptionnelle, puisque c’était contre les Blacks, en 2013…

Oui, cela a constitué une énorme joie de connaître une première sélection dans un tel contexte. C’était à deux pas de Sarcelles, au Stade de France. Toute la famille, mes amis, étaient dans les tribunes, c’était très émouvant. Il n’y a pas mieux pour débuter en sélection. D’autant que les Blacks, c’est l’un de mes meilleurs souvenirs de jeunesse. Le quart de finale de la coupe du monde 2007, je l’ai vécu alors que j’étais en stage en Angleterre. On avait regardé le match de là-bas, c’était hyper tendu, on savait que ce serait un match compliqué. Et puis il y a eu cet essai en fin de match, on a explosé de joie, on est monté sur les chaises… même si la fête a été de courte durée, parce qu’on avait quand même un match le lendemain !

 Cela suscite forcément des envies pour cette première coupe du monde à laquelle vous participez. Quels sont vos objectifs personnels ?

Mon objectif c’est bien sûr de jouer le plus possible. Mais dans tous les cas, faire une coupe du monde c’est déjà exceptionnel : les moments qu’on va vivre seront de toutes façons particuliers. Après, pour que ça se passe bien, il faut prendre la compétition au sérieux, et ne sous-estimer aucune équipe. En 2011, la France avait connu une mauvaise surprise avec une défaite contre les Tonga, un match que tout le monde pensait gagner facilement. Il faut s’appuyer sur la bonne préparation qu’on a faite, et sur les derniers entraînements qui nous ont permis de régler les petits problèmes qu’on a eus pendant les matchs amicaux. Il y a quand même eu pas mal de bonnes choses dans le jeu collectif. Il nous manque juste la capacité de finir nos actions. Percer et dominer on sait le faire, mais on ne sait pas marquer les points dans les temps forts.

 Centre national du rugby de Marcoussis / © Rémi Belot

 

Collectivement, l’objectif, c’est de sortir premier de la poule : vous avez déjà coché la date du dimanche 18 octobre, le jour du quart de finale, dans vos agendas ?

Si on joue ce match-là, c’est qu’on aura bien travaillé au préalable : ça viendrait confirmer un bon parcours en poule. Avec un gros match quoi qu’il arrive, que ce soit contre l’Argentine ou les Blacks. Et puis surtout, ça constituerait vraiment un beau cadeau personnel, vu que ce match tombe le jour de mon anniversaire !

 [1] Chérif Slimani joue à Bobigny, mais il a récemment été recruté par le Stade Français en tant que « joker coupe du monde » pour remplacer… son frère.

[2] La troisième division nationale, dans laquelle évoluent les deux clubs franciliens de Massy et Bobigny.