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[INTERVIEW] La photo, un prétexte pour découvrir le Grand Paris

Il est le directeur artistique et l'initiateur du tout premier Mois de la photo du Grand Paris, qui commence ce 1er avril dans 32 villes. François Hébel nous confie sa vision de Paris et de la banlieue et nous donne le mode d'emploi de cette nouvelle édition du festival.

Francois Hébel, directeur artistique du Mois de la photo du Grand Paris / DR

Qu’est-ce que vous évoque le Grand Paris ?

François Hébel : Je le vis comme une grande mue. Paris est superbe mais Paris est figée. Le territoire où l’on peut s’amuser aujourd’hui est à l’extérieur du périphérique. Et ce qui s’y passe est absolument passionnant. On se focalise sur les expériences de Brooklyn et Berlin alors que la banlieue parisienne mérite toute notre attention. Qui sait par exemple qu’à Nanterre on est en train d’assister à un concours d’architecture grandeur nature dans le prolongement de l’Arche de la Défense avec au milieu un espace d’art, La Terrasse ? Qui sait qu’à Clichy-sous-Bois des pèlerins viennent du monde entier pour visiter la chapelle Notre-Dame-des-Anges édifiée en souvenir d’un miracle qui se serait produit ici au Moyen Âge ? Avoir pour voisine la plus belle ville du monde rend difficile pour ces villes d’attirer la curiosité sur soi. Créteil en est la parfaite illustration. Son plan urbain, élaboré autour d’un lac, est super intéressant. Si ce n’était pas à côté de Paris, il se passerait ce qui se passe avec Le Havre aujourd’hui en termes de reconnaissance. Quand j’y pense… Pendant des années, j’ai envoyé mes enfants faire de la voile à l’UCPA en Bretagne. Jamais je n’aurais pensé qu’on pouvait faire du bateau au bout de la ligne 8 du métro !

Les choux de Créteil / DR

 

D’où le Mois de la photo du Grand Paris… ?

Il y a un gros problème de connaissance mutuelle entre Parisiens et habitants de la périphérie mais aussi d’une périphérie à l’autre. Si la construction du Grand Paris a enclenché une dynamique qui va conduire à un rapprochement, tout le monde ne se sent pas encore concerné. Il m’a donc semblé intéressant que la photo serve de prétexte à circuler entre ces territoires pour découvrir les richesses insoupçonnées de la périphérie. J’en ai parlé à la mairie de Paris qui a immédiatement approuvé l’idée. A ma connaissance, c’est le premier événement culturel à cette échelle. En faisant ce choix, ma crainte était que les opérateurs culturels des villes de banlieue perçoivent la démarche comme une forme de colonisation. C’est tout le contraire qui s’est passé. Les gens que nous avons rencontrés ont fait preuve de beaucoup d’enthousiasme et nous ont aidés à trouver les portes auxquelles frapper. En revanche, j’ai trouvé hallucinant les idées reçues sur la banlieue qui perdurent dans la tête de nos interlocuteurs parisiens. Le boulot qui reste à faire est gigantesque. Pour preuve, tous les lieux situés en dehors de Paris ont inscrit sur leurs invitations « Mois de la photo du Grand Paris » alors que les lieux intra-muros n’ont rien mentionné du tout. Ce n’est sans doute pas volontaire. C’est leur inconscient qui a fonctionné car tous ont adhéré à la démarche. Ils ne se rendent hélas pas compte qu’ils ont un pouvoir de locomotive. Si les gens qui visitent les institutions parisiennes voient marqué « Mois de la photo du Grand Paris », cela va leur donner envie de franchir le périphérique. Il s’agit d’un acte manqué généralisé mais pas d’un manque de générosité. Depuis, tous ont collé dans leurs expos des stickers faisant référence au Grand Paris.

Comment allez-vous inciter à visiter les expos qui se trouvent banlieue ?

Nous avons notamment programmé trois « Week-ends intenses », l’idée étant de proposer des itinéraires qui relient les villes participantes. Durant chacun de ces week-ends, nous allons mettre en place des lignes de bus éphémères qui circuleront par intervalles de 30 minutes. Outre les expos, ce sera aussi l’occasion de partir à la découverte des villes.

La terrasse de Dock B à Pantin / © Louis-Pierre Samain

Pensez-vous que la culture est un axe de développement pour les villes de banlieue ?

L’une de mes priorités lorsque j’étais à la tête des Rencontres d’Arles était de faire en sorte que le festival génère des retombées économiques. En 2001, la ville affichait un taux de chômage de 18%. Lorsque je suis parti en 2013, le festival éditait 360 fiches de paye chaque année. J’avais notamment recruté 200 gardiens d’expo chômeurs de longue durée. Je n’ai jamais pensé que mon métier se limitait simplement à montrer des expositions.

Pouvez-vous raconter votre première rencontre avec le photographe JR à Clichy-sous-Bois ?

En 2006, Jérôme Bouvier, le médiateur de Radio France à l’époque et qui organisait des universités populaires à Clichy-Montfermeil, m’avait proposé d’être le commissaire d’une exposition, « Clichy sans cliché ». Il avait été choqué par l’image donnée de la banlieue dans les médias après les événements de 2005 et avait demandé à 14 grands noms de la photographie (Marc Riboud, Jane Evelyn Atwood, William Klein, etc.) de venir y faire des reportages. Je lui ai répondu qu’avec un tel plateau il n’avait pas besoin de moi. Mais cela m’a donné une autre idée : construire une exposition à partir des photos prises par les Clichois. Je me suis lancé dans un travail de collecte en m’appuyant sur les associations. Résultat, ce sont 20 albums qui ont pu être édités racontant l’histoire de Clichy. Ces albums ont été montrés en parallèle de l’expo montée par Jérôme Bouvier à l’automne 2006 à Clichy. Pendant l’installation, j’avais remarqué qu’un mec avec un chapeau était venu avec son échelle coller de grands portraits photos sur un mur. Je suis allé parler avec lui. Il m’a dit qu’il s’appelait JR, qu’avant il faisait du graf et qu’il s’était mis à la photographie. Nous avons échangé nos numéros. Je l’ai rappelé deux mois après pour l’inviter à exposer dans des friches industrielles à Arles. Entre-temps, il avait réalisé ses clichés de Palestiniens et d’Israéliens. Je lui ai proposé qu’on les mélange avec ses portraits effectués à Clichy. Voilà comment s’est faite notre rencontre.

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Exposition de JR à Arles / © JR Art

 

 

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