Société
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Les moutons jouent à saute-béton

Désormais, il n'est plus nécessaire de s'expatrier dans le Larzac pour élever des moutons. La preuve à Saint-Denis, Bagnolet, Vitry, Cergy...

Les moutons, ils ne les comptent pas la nuit, mais tous les jours, les yeux grand ouverts, quand ils viennent s’en occuper, à tour de rôle. « Yip, yip, yip, alleeeeez… ». Il faut déplacer les bêtes bêlantes sur les pâtures, 37 têtes réparties en deux troupeaux, l’un sur le campus universitaire de Paris 13 à Villetaneuse (93) et l’autre sur un site militaire à Houilles (78). Un chien de berger -encore en dressage- viendra bientôt épauler ces bergers d’un nouveau genre.

Pauline, Simone, Valentin, Guillaume et Julie-Lou ont deux casquettes : paysagistes, osthéopathe, architecte, chargé de mission à la Ville de Sevran (93) et à côté, les voilà tous devenus paysans des villes, installés à Saint-Denis (93). C’est là, en petite couronne bétonnée, qu’en février 2012 ils ont lancé leur association baptisée Clinamen, et commencé avec sept moutons paissant au pied de la cité du Franc-Moisin. Clinamen, le nom selon Epicure d’une déviation des atomes qui les fait s’entrechoquer, et qui explique la liberté humaine.

Le bonheur est dans le pré qui est dans la ville

Dans le Grand Paris, une poignée d’initiatives similaires visent à revenir à une agriculture urbaine, qui a longtemps prospéré à Paris et en banlieue avant l’accélération de l’urbanisation après-guerre. Depuis 2010, des pionniers comme le « club des cinq » de Saint-Denis promènent leurs bêtes en pleine ville, provoquant stupéfaction et curiosité. Non, vous n’avez pas la berlue. Oui, ce sont bien des moutons, qui viennent de passer au vert, sur le passage piétons !

A Bagnolet (93), l’association Sors de terre fait pâturer quotidiennement ses moutons et ses chèvres, une quinzaine de têtes, dans les parcs de la ville, à Romainville (93) et depuis peu dans des résidences HLM du 20e arrondissement de Paris. Au parc des Lilas à Vitry (94), aux Archives de Paris dans le 19e arrondissement ou sur plusieurs parcs des villes appartenant à la communauté de Cergy-Pontoise (95) comme Vauréal, les bêtes d’élevage (des vaches à Saint-Germain) reprennent place dans le décor citadin.

Leur rôle : celui de tondeuses écolo, d’abord. On appelle cela « éco-pâturage ». Les moutons, chèvres et autres herbivores broutent les herbes hautes, mais pas de manière uniforme, permettant à la faune et à la flore de s’épanouir. « C’est un cycle écologique, explique Simone, l’une des cinq membres du noyau dur de Clinamen à Saint-Denis. Les crottes sont ramassées par des jardiniers des alentours qui les utilisent comme engrais naturel. C’est un excellent fumier. »

« Les gens sont comme des fous »

Les bêtes font aussi surgir les racines paysannes des habitants qui se trouvent nez-à-nez avec des brebis sur leur trottoir. « Nous faisons des animations, déplaçons les troupeaux dans des transhumances urbaines, à chaque fois, les gens sont comme des fous, c’est hallucinant. Ils ont tous une anecdote, parlent des vacances chez une grand-mère en province, ou de leur pays natal quand ils sont d’origine immigrée », raconte Simone.

Pour autant, Clinamen ne veut pas être une ferme pédagogique ou un centre social d’animations, mais un producteur. Le troupeau compte à présent deux mâles qui se battent entre eux : l’un d’entre eux va devoir être bientôt abattu, et finira en méchoui, pour les adhérents. « Nous avons un regard global, nous voulons inventer un nouveau système viable économiquement d’alimentation des villes, avec à la clef des postes de paysans urbains. Pour l’instant, on teste. »  Yip, yip, yip, alleeez !