Société
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Habitat participatif : On n’est jamais mieux logé que par soi-même

Il existe en Île-de-de-France une quinzaine de projets d'habitat participatif. Pour une région de 12 millions d'habitants, c'est peu. Mais c'est quoi au juste l'habitat participatif ? Nous sommes allés voir de plus près.

Dans les années 1970, des sociologues avaient rangés les pionniers de l’habitat participatif parmi “les aventuriers du quotidien” (1). Des babas cool souvent, prêts à partager leur repas autour d’une table commune et à s’affaler sur des sofas débordant de coussins, avant de manifester pour réenchanter le monde.

Quarante ans plus tard, de nouveaux aventuriers leur succèdent, moins rêveurs sans doute, mais prêts à changer en douceur la société depuis leur jardin partagé. L’habitat participatif reste une rareté immobilière, mais qui se développe, pierre après pierre, et se structure enfin juridiquement, grâce à la récente loi ALUR. Un décret d’application  a d’ailleurs été publié au Journal officiel en décembre dernier (il fixe les règles de création  des sociétés en autopromotion et en coopérative d’habitants).

 

 

Une quinzaine de projets d’habitat participatif en Île-de-France

 

En Île-de-France, actuellement, on comptabilise une quinzaine de projets : Coop Coteau à Ivry, le verger de Sylvestre à Palaiseau, le Big Bang Participatif à Vitry-sur-Seine, le Praxinoscope ou le Jardin divers à Montreuil, (etc.). Ces différents groupes ont acquis leur terrain. Ils ont donc de plus grandes chances de voir leur volumineux dossier se matérialiser en maisons ou en appartements. Parce qu’il faut souligner que ceux qui parviennent au bout de l’aventure – au long cours, trois ans au moins, souvent cinq ou six – sont peu nombreux. Sur 300 initiatives dénombrées en France en 2012 (2), seuls 70 projets se sont réalisés.

 

 

Dans le Grand Paris, Montreuil est en tout cas la capitale incontestée de ce type de logements. La municipalité soutient depuis toujours les porteurs de projets et dispose maintenant d’une longue expérience en ce domaine. Tout commence avec les auto-constructeurs du mouvement des Castors à la Cité Saint-Exupéry dans les années 1950. Viennent ensuite les copropriétés érigées dans les années 1980 et 1990, telle Couleur d’orange, le Luat, la Souris Verte, et enfin plus récemment Diwan, APAUM, Unisson et les Babayagas, la maison de retraite autogérée pour les femmes.

L’entente comme maître-mot

 

Habitat participatif, groupé, autogéré, ou coopératif, derrière ces termes techniques et peu glamour se cachent des courageux, des familles voire des amis parfois, qui se regroupent pour acheter un terrain. Ils doivent ensuite s’entendre pour concevoir leur logement, y prévoir des espaces partagés, édicter des règles de vie commune (et de sortie du groupe), se démener pour financer le projet, trouver le bon architecte, suivre les travaux, essuyer les plâtres au sens propre comme au figuré.

Depuis peu, des associations et des sociétés privées ont émergé pour guider ces groupes sur ce parcours du combattant, comme le réseau Coab, la société coopérative SCOPHEC à Saint-Denis, ou les agences d’architecture A-Tipic et des Clicsetdescalques.
80 % des personnes qui nous ont contactés rêvaient au départ d’acheter un appartement à Paris, explique Daniel Jaunas, de l’Association francilienne pour l’habitat participatif, mais il n’y a quasiment pas de terrains accessibles financièrement dans la capitale. La mairie de Paris vient d’allouer trois terrains un peu mal “foutus” et qui intéressent peu les promoteurs classiques pour ce type d’habitat partagé. Il y a eu 350 foyers candidats, répartis en une trentaine de groupes. Actuellement, douze sont encore en lice.” Des jurys devraient trancher fin janvier – début février et désigner les trois projets retenus. “Pour tous les autres, poursuit Daniel Jaunas, nous leur conseillons le plan B comme banlieue. C’est là qu’ils pourront gagner en qualité de vie.

Gagner en confort

 

Daniel Jaunas sait de quoi il parle. A la fin des années 1980, il a participé à la construction à Vanves (92) d’un immeuble de dix logements, dont un studio, pour neuf familles (dont la sienne), ceci afin de gagner en confort. “Nous avons une salle commune, avec un coin cuisine, un appartement pour les amis de passage, un atelier de bricolage qui peut servir de débarras temporaire, une salle de jeux pour les enfants et une cave à vin collective.” Plus de vingt-cinq ans plus tard, toutes les familles habitent toujours là et “on s’entend bien”. “Certes, par rapport à une copropriété classique, on fait plus d’efforts pour entretenir le dialogue, mais cela se passe bien, on se connaît tous par cœur.

 

 
Qualité des espaces et aussi des matériaux choisis (très souvent du bois), volonté de construire plus écologique et en fonction de ses besoins : l’habitat participatif permet de faire du sur-mesure. Les dix familles porteuses du projet Atonix à Courdimanche par exemple veulent faire sortir de terre des maisons bioclimatiques, passives (avec des parois communes pour un gain de place et d’énergie). Les eaux de la buanderie (commune) seront même traitées par des plantes, grâce à la phytoépuration. Le terrain est acquis, le permis de construire accepté, mais la date d’achèvement a été repoussée de plusieurs mois, à fin 2017, pour des raisons de négociation avec un bailleur social, partenaire de l’opération. “Nous savons où nous allons, notre groupe est stable, explique Sylvie Leduc. Il est vrai que cela devient difficile pour certaines familles qui se sont agrandies depuis 2011 et sont à l’étroit dans leur logement actuel. Il faut de la constance et de la motivation, mais on apprend beaucoup de choses. »

Des prix au mètre carré alléchants 

 

Certains y gagnent aussi financièrement, affichant un coût au  légèrement inférieur, ou équivalent au logement classique, mais avec des espaces en commun en plus. C’est le cas aux Coteaux d’Ivry (2.805 euros/), ou pour les membres du noyau fondateur de Rochebrune Sweet’om à Montreuil (4.500 euros/).

« Certaines opérations comme Rochebrune se font en auto-promotion, c’est-à-dire sans promoteur qui prend sa marge, et il n’y a pas non plus de frais de commercialisation », décrit Laurent Phalip, du site d’annonces et de suivi de projet immoparticipatif.fr. Ce spécialiste accompagne les cinq familles à l’origine de ce projet qui comprend six maisons et un immeuble comptant six logements. « Construire sa propre maison, c’est déjà quelque chose, raconte Blandine Scelles, à l’origine de Rochebrune Sweet’om, mais construire douze logements à la fois, c’est très fort. J’ai l’impression de me saisir d’un bout de la ville, d’y mettre ma pierre. Sur notre terrain, nous avons choisi de construire deux fois moins qu’un promoteur classique (il y aura un jardin partagé), et de caler les hauteurs en fonction du soleil. Les voitures n’entreront pas dans l’espace de Rochebrune Sweet’om, les enfants pourront y courir et y jouer sans danger. » Comme le résume cette jeune femme, poétesse et performeuse, l’habitat participatif demande de la ténacité et nécessite « d’être inventif », surtout.
 

(1) Les aventuriers du quotidien : essai de Catherine Bidou sur les nouvelles classes moyennes, PUF 1984. Cité dans la note rapide de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme, Habitat participatif, un nouvel élan ? de juillet 2013

(2) Inventaire réalisé par l’association de développement de l’économie sociale et solidaire du Pays de Brest