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Ici c’est Grand Paris !

Le Grand Paris est né ce 1er janvier 2016. Mais pour quoi faire ? A-t-il un ou des visages, des objectifs, des moyens, des représentants... une adresse ? Pour y voir plus clair, nous avons interrogé Frédéric Gilli, économiste, chercheur à Sciences Po et spécialiste de... la conduite du changement.

 

La métropole du Grand Paris naîtra officiellement le 1er janvier. De quoi s’agit-il concrètement ? Qu’est ce que cela va changer pour ses habitants ?  Quels seront les pouvoirs et les compétences de cette métropole ? 

 
Frédéric Gilli : Concrètement, au 1er janvier, la métropole du Grand Paris et les 12 territoires qui la composent vont commencer à fonctionner. Pour les élus, cela veut dire qu’il va falloir choisir les présidents et attribuer les postes clefs de ces nouvelles institutions. Cela veut aussi dire que des représentants vont désormais pouvoir s’exprimer publiquement au nom du Grand Paris. Pour les personnels des services publics territoriaux cela signifie que beaucoup vont voir leur employeur changer sur leur feuille de paye. Au quotidien, cela n’aura toutefois pas beaucoup de conséquences pratiques immédiates pour les citoyens : l’essentiel des services continueront « comme avant ».
 
Dans les départements où la couverture intercommunale était très partielle (nord des Hauts-de-Seine, Val-de-Marne), il va quand même y avoir quelques changements puisque les communes vont voir une partie de leurs prérogatives transférées aux territoires. Les services « intercommunaux » vont ainsi progressivement devenir les interlocuteurs des habitants à la place des services municipaux pour les offices HLM, la voirie, le ramassage des ordures ménagères, etc.
 

« La loi installe une métropole qui, au 1er janvier 2016, exerce des fonctions a minima et très en deçà de ce qui était espérer. Mais ce n’est qu’un début. Décréter à priori que la coquille est vide n’est donc pas un discours neutre politiquement. »

 
C’est à moyen terme que les effets de la métropole et de ses territoires pourraient se faire vraiment sentir pour les habitants. Par l’élaboration des PLU (plans locaux d’urbanisme), les territoires (et la métropole qui aura à les valider) vont remplacer les conseils municipaux dans le pilotage fin de l’organisation des villes de la banlieue parisienne. C’est auprès d’eux que se négocieront les nouveaux aménagements des quartiers, les questions de politique de la ville, une partie non négligeable de l’action sociale, etc. Ils vont devenir des interlocuteurs locaux incontournables et des lieux de pouvoir importants.
 
Concernant la métropole proprement dite, le jeu est plus ouvert car elle est essentiellement dotée de fonctions stratégiques dont la portée dépendra vraiment de l’importance que les élus voudront lui donner. Elle a par la loi des compétences en matière d’aménagement, d’habitat et politique de la ville, d’économie, de climat, et elle pourra même se prévaloir, à terme, de compétences fiscales. Mais beaucoup de ces dimensions seront à « activer » (ou pas) dans les prochaines années. La coquille est là, il reste à la remplir et la faire vivre. 
 
La loi installe une métropole qui, au 1er janvier 2016, exerce des fonctions à minima et très en deçà de ce qui était à espérer. Mais ce n’est qu’un début. Décréter a priori que la coquille est vide n’est donc pas un discours neutre politiquement: c’est chercher à étouffer dans l’œuf le rôle égalisateur que la métropole pourrait à terme jouer, que ce soit en matière de logement (avec la question des constructions dans les communes ne souhaitant pas de logements sociaux ou des règles d’attribution communes à toute la proche couronne) ou de fiscalité (avec une répartition plus équitable des ressources entre Paris et sa banlieue ou entre l’Ouest et l’Est de la métropole). Ce 1er janvier n’est qu’une étape, symbolique, sur un chemin plus long. Certains ont intérêt à ce que la métropole ne progresse pas et les discours sont déjà installés dans la préparation des prochaines échéances.
 
 
carte des territoires de la MGP

 

 

Cela fait plus de dix ans que l’on parle de Grand Paris. Pourquoi est-ce si long de faire bouger les lignes ? Quelles en ont été les grandes étapes et qui en ont été les « héros »?

 

Frédéric Gilli : On peut dater le début du processus à l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris. C’est lui qui, politiquement, prend l’initiative de tendre la main aux villes de banlieue. Sous différentes formes, la construction institutionnelle de la métropole va avancer, emportant de plus en plus d’élus de l’agglomération, de droite et de gauche, de première et de deuxième couronne.
 
Des maires ou présidents d’intercommunalités comme Philippe Laurent à Sceaux, Patrick Braouezec à Plaine Commune, Jacques J.P. Martin à Nogent vont jouer des rôles notables, de même que Pierre Mansat adjoint de la ville de Paris qui sera longtemps la cheville ouvrière de ces avancées.
 
En parallèle, l’impulsion donnée par Nicolas Sarkozy lors de son arrivée à l’Elysée et l’énergie mise par Christian Blanc, le secrétaire d’état missionné sur le sujet, auront beaucoup fait pour bouger les lignes. Symboliquement, le concours international qui a mobilisé de grands noms de l’architecture autour de la région parisienne a aussi joué un rôle très stimulant pour tous les intervenants. Alors que la région bouclait au même moment le Schéma Directeur et que Jean-Paul Huchon négociait un réinvestissement important de la RATP (notamment dans les tramways) et la SNCF (notamment dans les RER), cette effervescence a créé beaucoup de remous. Au final, entre les alternances électorales et l’intérêt bien compris de chacun pour que les choses avancent, tout s’est mis en ordre entre 2010 (loi Grand Paris) et 2014 (loi Maptam).
 

« Si la métropole est une réalité pour tous les habitants depuis longtemps, il faut toujours du temps pour que les institutions, les appareils et ceux qui les dirigent mesurent l’intensité des attentes et soient en mesure de conduire les changements profonds d’organisation qu’ils supposent. »

 
Au final, on peut se dire que la montagne accouche d’une souris, car la loi entérine finalement peu de progrès concrets sur les enjeux fondamentaux que sont le logement et la réduction des inégalités. Mais il faut plutôt retenir le processus à l’œuvre depuis quinze ans : si l’on compare aux autres grandes métropoles, le temps est sans doute long mais les autres tentatives de transformation se sont pour beaucoup traduites par des difficultés (Toronto) voire des impasses (Turin) ou des reculades (Montréal). Et si l’on compare à ce qui s’est passé à la création des intercommunalités en province, l’échelle de temps n’est pas démesurée. Il faut bien imaginer qu’au début des années 2000, la quasi totalité des maires d’Île-de-France étaient maîtres chez eux, sans aucune interaction avec leurs 1200 voisins proches ou lointains. 
 
Si la métropole est une réalité pour tous les habitants depuis longtemps, il faut toujours du temps pour que les institutions, les appareils et ceux qui les dirigent mesurent l’intensité des attentes et soient en mesure de conduire les changements profonds d’organisation qu’ils supposent. Dans une étude conduite en 2007 auprès des habitants de la métropole, ces derniers disaient clairement entrevoir les difficultés que les nécessaires rapprochements allaient créer au niveau des dirigeants. D’ailleurs, le syndicat Paris Métropole réunissant les élus locaux était un syndicat d’études et il s’est grippé quand sont venues les vraies questions de pouvoir : compétences, fiscalité, périmètres…
 
 
Grand Paris Express / © Société du Grand Paris

 

Et maintenant ?! Que va-t-il se passer ? Quelle sont les prochaines étapes ? Quels sont les effets attendus… et espérés ?

 
Frédéric Gilli : Maintenant, une période de transition s’ouvre avec deux temporalités différentes. Les compétences de la métropole, des territoires et des communes vont être finalisées d’ici à 2018. Les questions de fiscalité sont quant à elles gelées jusqu’en 2020. D’ici là, la métropole aura un rôle quasi transparent puisqu’elle sera amenée à restituer les impôts et dotations reçus sans effet péréquateur notable. Une phase d’intégration et de convergence plus poussées pourraient commencer après les prochaines municipales. C’est ainsi que l’on pourra mesurer les progrès de l’intégration politique du Grand Paris. D’ici là, il y aura un fort enjeu de clarification du projet métropolitain.
 

« La création de la métropole du Grand Paris n’est donc qu’un moment symbolique dans un processus qui devrait durer encore 10 ans. »  

 
Tout ceci suppose évidemment que l’environnement politique et institutionnel reste constant. Or la nouvelle présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, a déjà annoncé qu’elle souhaitait rediscuter des modalités d’articulation entre la métropole et la région : en excluant de son périmètre tous les habitants de la grande couronne et les territoires dans lesquels ils vivent, la métropole du Grand Paris pose en effet d’importantes questions en matière d’égalité des Franciliens. Comment imaginer que seules les communes de la métropole bénéficient des ressources de la fiscalité économique quand une bonne part de la richesse créée l’Est par les habitants de la grande couronne dont les communes peinent à financer des services publics efficaces en matière de petite enfance notamment !?
 
Les pouvoirs relatifs de la métropole et la région en matière d’urbanisme ou d’habitat et d’hébergement vont aussi nécessiter des discussions importantes. On pourrait presque imaginer, à terme, que la métropole englobe les nouvelles intercommunalités de grande couronne et fasse office de Chambre régionale des élus locaux (sorte de Sénat) quand le conseil régional élu à la proportionnelle tiendrait lieu d’assemblée régionale, désignant l’exécutif.
 
Tout ceci se fait aussi sans que l’on sache si les départements franciliens seront préservés ou si ceux de première couronne disparaîtront, à supposer qu’ils n’aient pas, auparavant, fusionné avec leurs voisins de grande couronne comme l’on en prête l’intention aux Hauts-de-Seine et aux Yvelines dirigés par Patrick Devedjian et Pierre Bédier.
 
La création de la métropole du Grand Paris n’est donc qu’un moment symbolique dans un processus qui devrait durer encore 10 ans. En soi cette durée n’est pas problématique si elle s’inscrit dans un cadre clair pour tout le monde et ancré dans une approche profondément démocratique de cette mutation.
 
Cela deviendrait un problème si l’instabilité s’installait comme une règle et que les dirigeants cessaient de tirer vers la recherche collective d’une solution pour se perdre dans des luttes de pouvoir et des querelles intestines. Car pendant que les institutions fusionnent et que les élus discutent ils sont accaparés par des enjeux très éloignés des préoccupations des gens. Attention donc à ce que ces processus institutionnels ne finissent pas par noyer les autres priorités !
 
Attention aussi à éviter la paralysie des acteurs privés (ou leur déploiement débridé dans les interstices d’un pouvoir absent). Pour les aménageurs (publics comme privés) ou les investisseurs, les remises en cause permanentes des contextes institutionnels rendent impossible d’identifier les interlocuteurs capables de sécuriser leurs choix d’investissement. Laisser prospérer un tel état d’esprit serait périlleux car la région parisienne a besoin d’investissements importants (logements, équipements publics, etc) pour améliorer une qualité de vie au quotidien que beaucoup de citoyens considèrent très dégradée. Les bilans démographiques annuels en témoignent, qui font état de migrations massives et jamais démenties des familles d’actifs en milieu de vie vers les métropoles de province, plus « vivables ». Les travaux engagés autour du futur métro du Grand Paris Express sont intéressants dans cette perspective mais ils ne suffiront pas à eux seuls à améliorer significativement le cadre de vie des franciliens.
 
 Les lieux culturels du Grand Paris
 
 
Le Grand Paris c’est aussi l’économie, les transports avec notamment la Société du Grand Paris. De notre point de vue, c’est aussi la culture et les transports avec le passe Navigo unique depuis septembre 2015. En revanche on cherche toujours la place des citoyens dans ce projet… 
 
Frédéric Gilli : L’événement ponctuel que constitue la naissance de la métropole fait que l’on insiste en effet beaucoup sur les questions institutionnelles. Pourtant il ne faudrait pas oublier deux choses fondamentales. D’abord, pendant que les discussions se prolongeaient sur les enjeux de gouvernance et d’organisation urbaine, la région parisienne n’a pas pour autant arrêté de vivre et de se transformer. Sur les quinze dernières années, elle est de toutes les grandes métropoles européennes celle où la richesse produite a connu la plus forte augmentation. Bien plus que Londres, Milan, Munich ou Berlin par exemple.
 
Le hic est que cela ne s’est pas traduit en matière d’emplois puisque dans la même période leur nombre est resté étale en Île-de-France quand il croissait partout ailleurs. Il y a d’indéniables ressources dans cette région mais il y a également d’immenses difficultés à les mobiliser et les faire travailler ensemble. La région ne connaît ainsi pas, aujourd’hui, de problème d’attractivité à l’international et elle reste la région la plus jeune et la plus diplômée d’Europe. Sa principale faiblesse à l’avenir tient plus dans son incapacité à reconnaître toutes ses richesses internes et à les valoriser, où qu’elles soient dans la région. La création de la métropole et des territoires met l’accent sur une approche très institutionnelle et opérationnelle des questions de développement économique quand il s’agit aujourd’hui surtout d’enjeux humains : accompagnement de projets, mise en relation d’acteurs économiques et sociaux, etc. L’innovation est un enjeu fondamental qui ne se résume ni aux politiques de cluster, ni à l’aménagement des zones industrielles. Il y a comme un manque.
 

« La question démocratique n’est pas un thème de plus qui s’invite de manière formelle dans les débats : c’est un facteur qui à lui seul peut, ou pas, rendre tout le processus de mutation de la métropole caduc ou positif. »

 
Cette non prise en compte des enjeux « humains » est évidemment encore plus criante si l’on se demande comment cette nouvelle organisation institutionnelle pourra contribuer à réduire la crise démocratique. En ajoutant des strates techniques et politiques où les élus et les services travailleront de concert à imaginer la métropole de demain, il y a fort à parier que la métropole éloignera, au contraire, plus encore les citoyens de la décision. Toutes les intercommunalités ont conduit à une technicisation des débats et une captation de la politique par les sphères dirigeantes au détriment des habitants et électeurs. Or la loi installe deux niveaux d’intercommunalités. Il y a donc un enjeu fondamental à ce que les territoires et la métropole se préoccupent de leur lien aux citoyens et pas seulement aux maires et élus locaux.
 
Le Conseil de développement de la métropole sera une première pierre mais il ne pourra, à lui seul, incarner les citoyens. Il y a, pour ce Conseil comme pour les territoires et la métropole, un défi à relever : trouver des voies et moyens nouveaux pour permettre que tous les métropolitains soient directement associés au projet du grand Paris. Jeunes ou actifs, engagés dans la vie associative ou repliés sur leur sphère personnelle, chefs d’entreprises ou chômeurs, militants ou abstentionnistes, il faudra que ces institutions et ceux qui aspirent à les diriger se donnent véritablement les moyens d’aller à la rencontre des citoyens si elles veulent être autre chose qu’une feuille de plus dans l’empilement des institutions boudées par les électeurs. 
 
La question démocratique n’est pas un thème de plus qui s’invite de manière formelle dans les débats : c’est un facteur qui à lui seul peut, ou pas, rendre tout le processus de mutation de la métropole caduc ou positif, qu’il s’agisse de la mutation institutionnelle, économique ou sociale. Dans beaucoup d’endroits du Grand Paris, la vitalité citoyenne (politique, associative, culturelle…) est très forte. Peut être est-ce d’ailleurs en partie parce que ce lien reste encore vivant, même affaibli, que Paris et ses banlieues résistent mieux au FN. Si on décourage les acteurs de ce lien en confiant le pouvoir aux techniciens ou en isolant les élus dans un tête à tête mortifère avec leurs administrations, on risque de faire de la métropole du Grand Paris un nouveau lieu de la crise politique. C’est une question première car s’il y a un endroit sur la planète où la politique est un élément décisif de l’identité du territoire et de ses habitants, c’est bien Paris. Il ne faudrait pas que pour mieux administrer le territoire on défasse insidieusement les liens puissants qui tiennent les Grand Parisiens ensemble. L’enjeu de demain est au contraire que la métropole soit l’instrument de la réaffirmation de leur place et leur pouvoir. Un enjeu profondément démocratique.
 
Propos recueillis à Grand Paris la veille de la mise en place officielle de la métropole du Grand Paris. Pour aller plus loin, nous vous renvoyons à Métropolitiques, où Frédéric Gilli publie des articles et des réflexions sur le Grand Paris : 

Nous recommandons chaudement la lecture de cet essai de Frédéric Gilli: