Culture
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Boulogne au temps des usines Renault

Alors que Boulogne-Billancourt vit une transformation profonde, et attend l'ouverture en avril de la Cité musicale de l’île Seguin, une compagnie de théâtre remet à l'honneur le premier livre de la grande romancière russo-américaine Nina Berberova, qui a pour toile de fond le milieu ouvrier russe des usines Renault durant l'entre-deux-guerres. Nous nous sommes entretenus avec la metteuse en scène Carole Bourdon avant la première représentation, une lecture musicale prévue le 23 février dans une librairie de Boulogne.

Qui est Nina Berberova ? 

Carole Bourdon, metteuse en scène de la Compagnie Pil : Nina Berberova (1901 – 1993) est une poétesse et romancière russe née à Saint-Petersbourg, aujourd’hui mondialement connue pour des romans comme « L’Accompagnatrice », ou encore ses mémoires, « C’est moi qui souligne ». Comme tant d’autres de ses compatriotes, elle a dû s’exiler à la suite de la révolution bolchevique de 1917. Après plusieurs années d’errance à travers l’Europe (Italie, Berlin…), elle a fini par s’établir à Paris en 1925 avec son mari, le poète Vladislav Khodassevitch. Ils y ont côtoyé de nombreux artistes russes eux aussi en exil (Anna Akhmatova, Vladimir Nabokov, Boris Pasternak, Marina Tsvetaïeva et Vladimir Maïakovski). Une vie brillante. Mais c’était la dèche. Nina Berberova et son mari étaient apatrides, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas le droit de travailler. Elle se mit alors à écrire des feuilletons pour un quotidien libéral sur l’immigration russe, pour lequel on lui avait demandé de décrire la vie des exilés de Paris. C’est ce qu’elle a raconté d’ailleurs dans la postface des « Chroniques » : « J’ai commencé à écrire de la prose en 1925 (…). Pendant deux années, j’ai cherché une toile de fond sur laquelle allaient se projeter mes héros. En 1927, j’ai appris qu’il y avait des églises russes dans les banlieues autour de Paris ; non seulement des églises russes mais des épiceries, des jardins d’enfants, des écoles. Et à Billancourt, dix mille russes construisaient les automobiles Renault. Je tenais là le terreau qu’inconsciemment je cherchais. »  Ce sera le premier récit de Nina Berberova qui sera publié après sa mort, dans les années 1990.

Nina Berberova

 

Que raconte-t-elle dans ses « Chroniques de Billancourt » ? 

Avec ces nouvelles Berberova abandonne la poésie pour décrire la vie des prolétaires russes de « Monsieur Renault », entre autres :   » Après la guerre 1914-1918, et comme la main-d’oeuvre manquait, Monsieur Renault s’était mis à chercher des ouvriers. Il lui fallait des hommes jeunes et en bonne santé, capables de se former, de fonder une famille (…) Or, de tels hommes existaient : des Russes blancs, anciens militaires des armées, évacués après leur défaite au cours de la guerre civile. L’armée blanche avait drainé dans son sillage des milliers de civils qui cherchaient un lieu où se caser dans une Europe en ruine et loin d’être de tout repos. Renault fit venir d’anciens officiers, des soldats, des cosaques... » C’est eux qui vont former le petit peuple de Billancourt. On n’a aucune idée, aujourd’hui, de ce qu’a été cette présence russe à Billancourt et ailleurs en banlieue parisienne. Les Chroniques de Billancourt  sont une succession de courts récits et esquissent la vie, telle qu’elle fut vécue, par ces déracinés de l’Histoire, « des gens qui avaient tout perdu, qui ne parlaient pas le Français » et tentaient de survivre. 

 

 

Reste-t-il des traces de cette épopée ? 

Le Billancourt que dépeint Berberova n’est bien sûr plus du tout celui dans lequel j’habite depuis douze ans. Je suis tombée sur les Chroniques de Billancourt par hasard. Il raconte une ville pauvre, sombre, la ville des ouvriers. C’est un quartier, celui de la place Jules Guesdes, en face du portail des usines ; un Billancourt mythifié par le bruit des usines. Il reste aujourd’hui une petite église russe au fond d’une cour, au 123 de la rue du Point du Jour. Et une petite rue porte le nom de Nina Berberova. La mémoire, la littérature et l’histoire nous parlent d’une ville oubliée. La présence des immigrés russes est oubliée. C’est pour cette raison que nous avons décidé de lire ces textes, bien que d’un point de vue littéraire, il ne fasse pas partie des grands textes littéraires de Nina Berberova.  Mais nous voulons répondre à son intuition : « Aujourd’hui, personne ne sait plus rien d’eux. [Avec les Chroniques de Billancourt], j’ai peut-être, pour les générations futures, réussi à conserver la mémoire dans ses aspects tragi-comiques, absurdes et amers« . 

 

Lectures musicales des Chroniques de Billancourt de Nina Berberova :

Jeudi 23 février à 19h
Librairie Les Mots et les Choses, 30 rue de Meudon, Boulogne-Billancourt (92)

Dimanche 19 mars à 17h
Voz’Galerie, 41 rue de l’Est, Boulogne-Billancourt (92)